«Ils étaient au moins vingt-cinq. Certains me tenaient, d'autres rigolaient»

Victime de viols collectifs, Nina témoigne à la veille du procès de ses agresseurs présumés.

Par ONDINE MILLOT

A16 ans, Nina était une   «très jolie fille»,   la taille fine, de longs cheveux noirs, de beaux yeux bruns en amande, presque bridés. Elle ne peut pas dire combien d'hommes l'ont violée. La justice en a retrouvé dix-huit, dont quinze seront jugés à partir de mardi devant la cour d'assises des mineurs de Créteil. Nina se souvient que certains soirs, dans les caves ou les cages d'escalier de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), il y en avait   «au moins 25» . Des témoins ont vu «une cinquantaine»   de garçons   «faire la queue»   dans la cour de l'école maternelle où Nina, adossée au jeu en bois en forme de maison   «se faisait passer dessus». Un de ses violeurs a expliqué qu' «il y avait parfois tellement de monde que tout le monde ne pouvait pas passer» . Pour lui comme pour les autres, il ne fait aucun doute que Nina était   «consentante»   :   «Elle aimait le sexe.»

Aujourd'hui, Nina pèse 125 kilos. Elle a pris 70 kilos suite aux viols.   «Je me suis fait une carapace, comme une tortue»,   dit-elle. Elle aimerait parfois pouvoir disparaître complètement.   «Quand je vois mon corps dans le miroir, je vois ce qu'ils m'ont fait.»

«Garçon manqué».   Nina est arrivée dans la cité de Fontenay-sous-Bois à 7 ans et demi, avec sa mère et son frère cadet, après le divorce de ses parents. A l'école, elle est parmi les élèves motivés, curieuse, enjouée et   «garçon manqué»,   souvent en jogging. Un soir de septembre 1999, en sortant du cinéma, elle croise des garçons qui boivent et fument du cannabis. Le meneur passe son bras autour du cou de Nina, les autres l'encerclent. Ils la conduisent de force jusqu'à une tour. Dans la cage d'escalier, le chef lui explique qu'elle doit «coucher» . Elle refuse, il la frappe au visage. Il la viole, pénétration vaginale, anale, fellation. Les autres sont autour.   «Il y en avait qui me tenaient, il y en avait qui rigolaient, il y en avait qui étaient là et ne faisait rien.»   Nina avait 16 ans. Elle était vierge.

Le lendemain, le groupe l'attend au pied de son immeuble. Elle est emmenée dans un appartement où elle est frappée et violée par plusieurs garçons d'une autre bande. Même supplice les jours suivants. Certains la violent à plusieurs en même temps. Elle pleure, elle vomit. Un des meneurs lui écrase une cigarette au-dessus de la poitrine. Nina a   «tellement peur»   qu'elle pense qu'elle ne sera «jamais capable»   de confier son calvaire. Sa mère lui pose des questions, la voyant se laver   «huit, dix fois par jour» . Mais Nina se tait. Ses tortionnaires lui ont   «promis»   d'incendier son appartement et de s'en prendre à son frère et à sa mère si elle parle. Les viols continuent tous les jours, pendant environ six mois.

Une fois, Nina entend parler d'une autre fille, Stéphanie (1), que ses violeurs «font tourner»   dans les caves. Stéphanie est également partie civile au procès qui s'ouvre mardi, pour des faits commis par quatre des accusés. Elle non plus ne voulait pas porter plainte,   «par peur» . Les deux jeunes filles habitent toujours dans la cité de Fontenay, où elles croisent les accusés.   «Pendant trois ans, j'ai été en foyer, parce que le juge voulait que je m'éloigne,   raconte Nina.   J'ai changé vingt fois d'hébergement, j'étais épuisée, je n'avais plus d'argent. Plusieurs fois j'ai dû faire le 115 [numéro d'hébergement d'urgence pour les sans-abri, ndlr ]. Alors je suis revenue chez ma mère, à Fontenay.»   Ni Nina ni Stéphanie n'ont reçu d'aide financière. Sous antidépresseur et somnifères, Nina a été déclarée en invalidité   «à 80%» .   «J'ai arrêté l'école, j'ai arrêté mes petits jobs, j'ai tout arrêté.»

Nina se souviendra toujours d'un certain M., un garçon qu'elle connaissait   «de vue» .   «Il est entré dans la cave un soir, il a vu que je pleurais, il a crié : "Vous sortez tous d'ici". Et, par miracle, ils sont sortis.» Ce soir-là, dit-elle,   «c'était fini. Je pensais que ça allait reprendre le lendemain mais non, ils ne sont pas revenus».   Trois d'entre eux ont continué à la battre quand ils la croisaient. Un jour de 2005, elle a perdu connaissance sous les coups. Transférée en sang, le visage fracturé, à l'hôpital, elle a parlé.

Arrêtés puis mis en examen, les dix-huit garçons dont elle a pu donner les noms ont nié ou minimisé. Si Nina enchaînait les rapports sexuels avec une quinzaine de types, c'était   «par plaisir» ,   «parce que c'était une pute».   «Tout le monde savait»   que Stéphanie et Nina participaient à des   «tournantes» , ont précisé la plupart. Elles étaient   «consentantes»   :   «La fille, si elle est là, c'est qu'elle est d'accord.»

Après le procès, Nina voudrait reprendre une formation pour devenir maître-chien.   «Des gros chiens,   sourit-elle.   Des bergers allemands, des rottweillers .»   Elle a insisté pour que l'on publie sa photo avec l'article parce qu'elle veut dire   «aux autres victimes»   qu'il ne faut plus avoir peur.   «Ce n'est pas à moi de me cacher, c'est à eux.»

Parmi ses premières   «victoires» , il y a le fait de réussir à reprendre seule les transports en commun. Et à soutenir le regard des accusés, lorsqu'elle les croise à Fontenay. Pour eux, elle a longtemps éprouvé de la haine. Le sentiment, dit-elle, a évolué. Aujourd'hui,   «c'est de la pitié» .

(1) Le prénom a été modifié.

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