Article d'Olivier Bonnet, le 21 juin 2006

Il faut sauver le gendarme Roussel

L'ex-directeur d'enquêtes sur l'affaire Alègre vient d'être condamné pour diffamation. Les preuves qu'il disait vrai ont été jugées irrecevables. Comme toujours, on étouffe la vérité en frappant ses messagers au portefeuille.

" Un gendarme est un militaire. Un militaire ne recule pas devant le danger. Le plus dangereux est de perdre ses convictions et son honnêteté pour sauvegarder un confort matériel ou de carrière. " Suivant cette profession de foi, l'adjudant Michel Roussel, enquêteur à la Section de recherche de la gendarmerie de Haute-Garonne, a travaillé durant six ans sur l'affaire Alègre , rencontrant pour la première fois le tueur de Toulouse le jour de son arrestation, le 5 septembre 1997. En 2000, il dirige la cellule Homicide 31, spécialement créée pour " rechercher d'autres victimes potentielles " : poursuivre l'investigation, au-delà des six viols suivis, pour cinq d'entre eux, de meurtre, dont Alègre a déjà été jugé coupable en 2002, exhumer des dossiers oubliés et chercher les liens éventuels. Six nouveaux cas de viols et de meurtres sont ainsi mis à jour, pour lesquels Alègre est mis en examen. Mais il reste d'énormes zones d'ombre dans l'affaire de Toulouse, plusieurs témoins déclarent qu' Alègre a été longtemps protégé par des policiers, Roussel dénombre 190 assassinats non élucidés… L'organisation Stop à l'oubli réunit des familles de victimes qui continuent de réclamer la vérité sur l'affaire Alègre , et livre un implacable état des lieux en se dressant « Face à ces disparitions, ces assassinats camouflés en suicide et ces enquêtes tronquées, déformées, bâclées, etc., face au mépris des fondements même de notre justice égalitaire, pilier de notre république. » Tant de mystères encore à élucider... Le directeur d'enquêtes Roussel quitte pourtant la gendarmerie au printemps 2003, à la suite du tsunami médiatique lié à la mise en cause de notables (et de Baudis), parlant du « déferlement qui nous a submergés » et s'excusant auprès des familles de ne pouvoir aller plus loin. Il témoigne de son vécu sur toute cette période dans Homicide 31 : au cœur de l'affaire Alègre . Mais voilà que notre intègre pandore vient d'écoper d'une condamnation pour diffamation. Lourde. Dans un mail publié sur le blog AJT de Sébastien Fontenelle, il raconte : « Dans la " Dépêche du Midi " du 15 mai 2004, j'avais déclaré, à la suite de la diffusion sur France 3 d'un reportage : " Je suis choqué qu'un magistrat en exercice ait pu mentir à la justice à laquelle il appartient " ». C'est l'homme dont parlait Roussel qui l'attaque et obtient donc sa condamnation, à 1000 euros d'amende, 8000 de dommages et intérêts, 3000 à verser, sans compter une publication dans La Dépêche à ses frais. Or ses offres de preuves ont été jugées irrecevables ! Dommage, il les avait, les preuves. Mais irrecevables. « Malgré les témoignages de la journaliste de France 3 qui a confirmé à la barre la teneur de son reportage et le dépôt des procès verbaux indiquant que contrairement à ses déclarations, XXX (le magistrat que nous n'avons pas le droit de nommer) se trouvait sur la scène de crime. Vrai donc mais diffamatoire… », écrit Roussel dans une correspondance à son éditeur.

Nota Bene du PNR : le magistrat en question est le substitut Marc Bourragué . Nous nous faisons un plaisir de le nommer.

Biographie :

Michel Roussel , né le 19 février 1961 à Saverdun ( Ariège ), a exercé la profession de gendarme du 6 août 1980 au 13 octobre 2003 . À compter du mois de septembre 2000 , il a été nommé directeur d' enquête de la cellule Homicide 31 chargée d'enquêter sur certains crimes non élucidés commis dans la région toulousaine . Dans le cadre de vingt-six enquêtes placées sous sa responsabilité, les investigations menées ont permis d'imputer plusieurs viols et meurtres au tueur en série Patrice Alègre .

Après avoir été muté à la brigade de Rabastens , dans le département du Tarn , l' adjudant Michel Roussel décide en 2003 de quitter la gendarmerie pour publier peu de temps après son ouvrage Homicide 31 : Au cœur de l'affaire Alègre, l'ex-directeur d'enquêtes parle dans lequel il témoigne du sentiment de ne pas avoir pu accomplir son travail jusqu'au bout. Dans ce document, l'ex-gendarme Roussel décrit comment, une fois un certain seuil médiatique et politique atteint, une affaire peut être confisquée par un jeu de pressions hiérarchiques.