Vladimir Poutine, patriote russe.

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Le 3 mars 2014

On a vendu un peu vite la peau de l'URSS.

Imaginez – pure supposition – que les Confédérés n'aient pas été vaincus à Gettysburg et que, de guerre lasse, Abraham Lincoln ait dû reconnaître l'État sécessionniste et esclavagiste. Croyez-vous que les États-Unis d'Amérique auraient longtemps toléré la perte de la Géorgie, de l'Alabama, du Tennessee, bref que le Nord aurait durablement accepté d'avoir perdu le Sud ?

Imaginez – je ne sais pas, moi… – qu'à la suite d'une guerre désastreuse, la France se soit retrouvée amputée de deux provinces chères à son cœur. Croyez-vous qu'elle aurait renoncé à réintégrer, fût-ce au prix d'un nouveau conflit, l'Alsace-Lorraine dans le sein de la mère-patrie ? Imaginez qu'un traité inique – un   diktat   – ait fait perdre à la Hongrie la moitié de son territoire et de sa population. Croyez-vous qu'à Budapest on n'en traînerait pas l'inguérissable blessure ?

Vladimir Poutine est un patriote russe. Comme tel, et à l'unisson du plus grand nombre de ses compatriotes, il a vécu comme autant de catastrophes l'effondrement du bloc soviétique, l'éclatement de l'URSS, l'accession à l'indépendance des États colonisés par l'empire des tsars devenus Républiques fédérées à l'Union soviétique. Il ne s'est jamais résigné à cette dislocation de la superpuissance qu'avait été son pays, il s'est juré d'être celui qui rebâtirait une nouvelle maison Russie sur les ruines de l'ancienne. Or, entre tous les abandons consentis par l'imbécile Eltsine, cuvant ses défaites dans la vodka, celui qui lui était le plus insupportable était la reconnaissance d'une Ukraine indépendante dans des frontières plus que contestables puisqu'elles n'incluaient pas seulement l'antique berceau de la Russie, mais aussi les régions russophones et russophiles de l'Est et la Crimée, joyau de la couronne des tsars et majoritairement peuplée de Russes.

En renversant par la violence un président discrédité mais régulièrement élu, en installant aux commandes un gouvernement dont la composition reflète les diverses composantes d'une insurrection qui n'est pas à l'image du pays, en ressuscitant les fantômes mal exorcisés d'un nationalisme ukrainien déshonoré par sa collaboration avec les nazis et sa participation au génocide, en privant le russe de son statut de deuxième langue officielle, en accordant trop de foi à des conseilleurs qui ne seront pas les payeurs, en se précipitant dans les bras d'une Union européenne qui, après avoir poussé au crime, se lave les mains du résultat et n'a ni les moyens de renflouer un État en faillite ni le désir d'accueillir un vingt-neuvième partenaire, les apprentis sorciers de la place Maïdan ont fourni au maître du Kremlin, depuis longtemps en embuscade, le prétexte dont il n'osait rêver.

Déjà, la Crimée est tombée entre ses mains comme un fruit mûr, sans la moindre effusion de sang. Déjà, les manifestations pro-russes qui se développent à présent dans l'Est viennent rappeler à ceux qui, obnubilés par le spectacle savamment mis en scène de Kiev, l'avaient oublié, qu'une moitié de l'Ukraine se sent plus proche de la Russie que de la Pologne ou de la Barrosie. L'hypothèse la plus probable et la moins effrayante est désormais celle d'une rectification négociée, plus ou moins ample, à plus ou moins long terme, de frontières qui ne correspondent ni à la réalité ni aux vœux des populations.

Le scénario le plus sinistre serait celui d'une confrontation armée et inégale entre l'armée russe et les forces très problématiques que pourrait lui opposer la « révolution ». Ce scénario, Dieu merci, a peu de chances de se réaliser car ni l'Union européenne ni même les États-Unis ne sont en situation ni n'ont l'intention d'aller au-delà des larmes de crocodile, des condamnations morales et des camouflets symboliques face à un homme de fer et à un grand pays déterminés à jouer la carte maîtresse que l'imprudence, la présomption et la légèreté de l'adversaire leur auront fournie. Qui, à Paris, à Londres, à Bruxelles ou à Los Angeles, est prêt à mourir pour Maïdan ? On a vendu un peu vite la peau de l'URSS.

Source : 'Boulevard Voltaire'

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