« Notre approche de la pédophilie ne fonctionne pas »

Traduction de l'article «  Our approach to pedophilia isn't working  » publié le 15 mai 2013 par Sophie L McAdam

À l'adolescence, j'ai été « préparée » [«  groomed  », de Child grooming = conditionnement par un pédocriminel] par un homme de 76 ans, avec un penchant pour la compagnie d'adolescentes. Il portait des cardigans avec fermeture éclair et ressemblait à un grand-père normal. Il écrivait de la poésie, nous a acheté des cadeaux, et a parlé avec sagesse sur l'importance d'attendre d'avoir une relation qui compte beaucoup avant d'avoir des rapports sexuels.

Il a traversé de nombreuses frontières, plusieurs fois, d'une manière qui me fait frémir en y repensant. Il était trop fragile à ce stade de sa vie pour jamais tenter autre chose qu'un baiser en échange d'argent, mais la police m'a dit plus tard que les autres victimes depuis sa jeunesse n'ont pas été aussi chanceuses.

Je ne crois pas aux monstres, ou au diable, ou au concept du mal. La déshumanisation est contre-productive : le gars qui m'a « préparée » [ groomed ] était juste un sur plusieurs millions d'êtres humains perturbés qui ont de graves problèmes. Et peut-être (pour le bien de ses victimes) si quelqu'un avait essayé de l'aider dans sa vie plus tôt, des centaines de jeunes filles auraient été épargnées de ces compulsions dépravées.

« Je suis un prédateur sexuel. J'ai besoin d'aide. » Ce sont les mots effrayants d' une lettre écrite en 2004 par Ariel Castro , l'homme accusé d'avoir enlevé trois femmes [14 ans, 16 ans et 21 ans – d'autres victimes sont recherchées, notamment une adolescente de 14 ans] et gardé en otage dans sa maison de l'Ohio pendant 10 longues années.

Prédateur sexuel - Ariel Castro

[pour plus d'informations sur cette affaire :

– Ariel Castro se dévoile dans une lettre

– Les trois jeunes femmes de Cleveland, séquestrées, torturées et violées pendant 10 ans : un fait divers ? (article important de Muriel Salmona )

– Cleveland: Michelle Knight, 32 ans, une vie de malheurs

Cleveland : y a-t-il eu d'autres victimes ? ]

Dans la note manuscrite trouvée par les forces de police sur l'avenue Seymour, Castro a affirmé avoir été maltraité par ses parents et violé par son oncle lorsqu'il était enfant. La question est, devrions-nous prêter attention à cela ? En tant que mère, je pense que nous le devrions.

Je ne fais pas l'apologie de la pédophilie, pour être claire. Mais la vengeance pour la perte de l'innocence d'un enfant nous détourne d'une recherche critique pour des mesures préventives. Notre dégoût collectif des pédophiles fait que nous nous éloignons de la possibilité de mieux les comprendre et nous poussons le problème au fond, le plus loin possible. Si nous voulons protéger nos enfants, nous devons comprendre.

On estime à 45 millions le nombre de victimes d'abus sexuels aux États-Unis – une femme sur quatre et un homme sur six. C'est une statistique ahurissante qui est encore plus impressionnante quand on sait que l'abus sexuel est massivement sous-estimé.

Prenez un moment pour vous plonger dans cela, puis imaginez, si vous le pouvez, combien de délinquants sexuels sont aussi là. Bien que le rapport ne soit pas un auteur pour chaque victime, nous pouvons conclure qu'il y a beaucoup plus de gens menant une double vie que vous n'auriez jamais cru possible.

Pourtant, seulement 10 % des enfants maltraités sont maltraités par des étrangers. Cela signifie que 90 % de toutes les victimes sont maltraitées par des personnes qu'elles connaissent et à qui elles font confiance : 60 % par des enseignants, des entraîneurs, des prêtres, des responsables de camps d'été et des chefs scouts, par exemple, et 30 % par des membres de la famille des victimes .

Ce sont donc des membres de l'entourage. Lorsque Charles Ramsey, le voisin de Castro, décrit le délinquant sexuel comme un « mec normal » qui aimait les barbecues, les médias couvraient cette information comme si cela méritait de faire l'actualité.

Cette obsession culturelle avec de bons gars et de méchants gars est naïve et inutile. Cela nous rend aveugle à la réalité, et freine nos progrès sur la recherche de solutions au gigantesque et urgent problème de la pédophilie. Alors que la loi de Megan est certainement utile pour calmer notre paranoïa, elle protège peu les 90% des enfants victimes qui sont abusés par un adulte de confiance bien connu d'eux.

Jane Stevens est le fondatrice et rédactrice en chef d'Aces Too High et ACEs connection ( ACEs = Adverse Childhood Experiences ) – un nouveau site et un réseau social de soutien conduisant et rapportant la recherche décisive autour de nombreux types de traumatismes de l'enfance, y compris les abus sexuels.

Stevens affirme qu' en refusant de créer un dialogue, nous mettons plus d'enfants en danger.

«  En tant que société nous ne voulons pas faire face à la maltraitance des enfants  », dit Stevens. « Nous devons justement en parler – de toutes les maltraitances, sexuelles ou autres – sans nous dérober ou nous précipiter pour essayer de trouver un « méchant prédateur ». »

Les effets de ces étiquettes galvaudées, et l'ampleur du tabou entourant la pédophilie, font que des millions de délinquants sexuels comme Castro n'ont nulle part où se tourner. C'est illogique: en offrant un soutien, nous pourrions sauver des vies. C'est une évidence qui n'a rien à voir avec l'empathie pour le prédateur.

En faisant quelques recherches sur l'exploitation sexuelle des enfants au Royaume-Uni en 2003, j'ai été étonnée de découvrir que la majorité des personnes qui appellent la helpline d'un organisme de protection de l'enfance ne sont pas des enfants victimes de violence, mais des pédophiles suppliant d'avoir de l'aide.

Ces personnes sans visage, sans nom sont les seules qui peuvent nous fournir une réelle compréhension de la meilleure façon de protéger nos enfants. Nous devons voir la situation réelle: tout comme la guerre contre la drogue et la guerre contre le terrorisme, l'approche actuelle ne fonctionne pas, point final.

Dr Robin Wilson est un psychologue clinicien de premier plan qui travaille avec les délinquants sexuels et mène des recherches vitales sur le problème de la pédophilie. Il pense que le traitement peut fonctionner, mais il note  : «  à l'heure actuelle, il y a peu ou pas de programmes complets de formation pour les personnes évaluant et traitant des agressions sexuelles . »

Pourquoi est-ce ainsi ? Comment pouvons-nous résoudre un problème dont nous ne voulons pas discuter ? Nous avons besoin de plus de recherche, et vite. Jusqu'à présent, ce n'est pas concluant: évidemment, toutes les victimes d'abus sexuels ne deviennent pas des agresseurs, et tous les pédophiles n'ont pas été eux-mêmes abusés. Mais en avril de l'année dernière, Sally Foss de The Daily Gazette à Albany, N.Y., a rapporté:

Les délinquants sexuels mineurs recevant un traitement à l'école LaSalle à Albany ont été envoyés là parce qu'ils ont commis un crime. Mais ils sont aussi victimes. Le personnel estime que 90 % ont été victimes d'abus sexuels et que 100 % ont souffert d'une certaine forme de violence.

Stevens dissèque le mythe du « monstre » en faisant valoir: « ce n'est pas comme quelqu'un qui se lève le matin et dit « à partir de maintenant, je vais être un méchant prédateur et blesser les enfants ». Beaucoup d'adultes pensent qu'ils font une faveur aux enfants… « leur enseignant » le sexe ou ne faisant que « jouer ». »

«  Le moyen d'empêcher n'importe qui de devenir un prédateur est de s'assurer que tous les enfants aient leurs besoins affectifs et physiques comblés et ne souffrent pas de stress toxique  », ajoute-elle.

Elle croit que l'abus sexuel peut être diminué grâce à un meilleur accès au soutien pour les adultes ayant eu un traumatisme important dans l'enfance, pointant que « s'il n'y a personne pour leur montrer une autre façon de faire, ils vont probablement passer leurs traumatismes à leurs enfants, comme une maladie. Ils ne sont pas « mauvais » parents ou de « mauvaises » personnes. Ils ont besoin d'aide tout autant que leurs enfants. »

Bien sûr, nous avons encore besoin de protéger nos enfants en enfermant les délinquants sexuels. Mais il y a 2,3 millions de prisonniers dans les prisons américaines. Peut-on raisonnablement mettre tous ces pédophiles dans les pénitenciers qui sont déjà pleins à craquer ?

Comme l'affirme Stevens, la plupart des pédophiles « sont des personnes sympas, mais avec de terribles secrets, compulsions et addictions. Lorsque cela vient à la lumière, l'interrupteur « sympa » bascule en position «off» dans nos esprits et ils deviennent tous de méchants prédateurs. La seule chose à faire avec des pervers, c'est de les jeter tous en prison. Cette attitude à un sens émotionnellement, mais ça ne fait pas grand-chose pour résoudre notre problème. »

Alors quoi donc ? La castration ? La peine de mort ? C'est un moyen miraculeux de satisfaire notre vengeance, mais punir sans prévention, c'est comme mettre un pansement sur une jambe cassée. Pourquoi ne faisons-nous pas plus pour arrêter les viols en premier lieu ?

Stevens ne croit pas que des lois plus sévères peuvent résoudre les causes profondes de la pédophilie.

«  Qu'en est-il des millions d'abuseurs qui se créent actuellement dans des familles à travers le pays ?  » Elle demande : « Le système qui est censé protéger nos enfants contre la maltraitance contribue en réalité à créer des pédophiles. Nous devons changer l'ensemble de notre système social ».

Alors, quelles sont les solutions ? Nous devons ouvrir le dialogue et créer des lieux sûrs où les enfants victimes peuvent parler ouvertement. Trop de visages ont une réaction négative au moment de la révélation de leur vécu, ce qui les rend plus susceptibles d'avoir des traumatismes en tant qu'adultes et des problèmes secondaires comme la toxicomanie, des troubles du comportement alimentaire, des troubles de la personnalité et de la dépression.

«  Nous devons nous poser des questions sur les traumatismes de l'enfant partout dans le monde  », dit Stevens. « Les écoles, les médecins, les infirmières, les salles d'urgence, les dentistes, les entreprises, les familles d'accueil, les tribunaux, les prisons, les organisations confessionnelles, les salons de beauté, les salons de coiffure, les services de jeunes, les scouts, le sport, les services des mineurs, les thérapeutes, les conseillers, les futurs parents … Quelles expériences négatives de l'enfance avez-vous eues ? Comment ont-elles affecté votre santé et votre vie ? De quelle aide avez-vous besoin aujourd'hui ? »

« Nous saurons que nous avons réussi lorsque nous pourrons prendre en compte et traiter la maltraitance des enfants de la même façon que nous le faisons pour la maladie d'Alzheimer. Ce n'est pas sorcier, et cela peut être fait. »

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