Jacques Cuvillier

Trop de spectateurs pour « Outreau, l'Autre Vérité » ?

06 OCTOBRE 2013 

Quelle que soit votre station de radio habituelle, quelle que soit votre chaîne de télé préférée, vous n'avez pas pu louper entre la mi-février et la fin mars 2013, les commentaires acerbes -  mais sans fondement  - de l'avocat Eric Dupond-Moretti sur le film qui lui fait si peur «  Outreau, l'Autre Vérité  » réalisé par Serge Garde et produit par Bernard de la Villardière sur la mystification de l'affaire d'Outreau.

Cela n'a pas découragé le public, bien au contraire. On ne peut pas dire pourtant que la presse moutonnière l'ait encouragé. On peut regretter qu'elle ait cantonné ses propos dans le registre du dénigrement et de la réserve, comme si tout ce qui devait remettre en cause l'histoire de l'affaire d'Outreau telle qu'elle est encore souvent décrite devait nécessairement être vu comme une transgression qui mérite censure. Le fait est qu'aucune chaîne de télévision n'a encore osé produire le documentaire. Malgré l'accueil glacial qui lui a été réservé par la presse à sa sortie, ce film qualifié de « révisionniste » a fait salle comble de nombreuses fois, que ce soit à Paris à Lille, à Lyon....

A regarder les appréciations telles qu'elles apparaissent sur le site de allociné, et les écarts curieux qui distinguent les appréciations des spectateurs de ceux de la presse, on peut avoir idée du parti-pris des grands quotidiens.

scores

Ainsi donc, le public a apprécié le film à sa juste valeur dès le départ. La salle était pleine à Boulogne sur mer, le 8 février, pour une avant-première en présence de Serge Garde et Bernard de la Villardière, et le 5 mars à Saint-Omer. Le 27 février à la Maison du Barreau rue de Harlay, Paris 1er, le débat a démarré très fort lors d' une avant-première très animée . Le 28 février, lors d'une autre avant-première à Lille, grosse surprise : salle comble, puis surnombre à tel point qu'une seconde salle a dû être ouverte en catastrophe pour pouvoir accueillir le public qui s'était présenté et tous n'ont pas pu accéder

Nouvelle surprise à l'ouverture de la projection du film le 30 septembre au cinéma  Majestic  de Lille. La salle prévue ne suffisant pas, et bien qu'une seconde salle ait dû être ouverte, de nombreuses personnes n'ont pu rentrer, elles devront attendre une nouvelle occasion de voir le film et d'en débattre. Cela ne saurait tarder. 

Les organisateurs - l'association ENFANCE MAJUSCULE et  La Borie  – ont été surpris par cette affluence à laquelle ils ne s'attendaient pas. Parmi leurs invités, de nombreux professionnels avaient répondu présent : magistrats, avocats, travailleurs sociaux, chefs de service du Conseil Général, psychiatres, psychologues, universitaires... Ceux qui ne pouvaient entrer donnaient leurs arguments : "c'est mon travail, je suis documentariste... je suis en contact avec les enfants victimes, je donne des cours sur ce sujet... j' ai toujours pensé qu'on ne nous avait pas dit la vérité etc...." Une impérieuse envie de participer aux débats. Comment ne pas se féliciter de l'intérêt pour la vérité de toutes ces personnes qui veulent savoir le vrai sur une histoire dont les côtés extravagants et suspects ne les ont jamais convaincus totalement ?

On pouvait vraiment regretter que tous les spectateurs n'aient pu prendre place dans la salle principale pour assister aux échanges qualifiés de très informatifs du fait de la qualité des personnes qui étaient présentes au procès d'Outreau : Maître Pouille-Deldicque, avocate, Pierre et Eva Borgus, présidents de l'association Enfance Majuscule Lille, et Marie-Christine Gryson-Dejehansart, auteure du livre «  Outreau, la Vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes 1  », le premier livre à dénoncer - arguments à l'appui - les graves mystifications qui ont masqué la réalité des procès.

Homayra Sellier, présidente de l'ONG internationale «  Innocence en Danger  », Anne-Marie Clément, présidente de la Fédération «  Enfance Majuscule  », Agnès Bachelet, fondatrice de l'Association   La Borie prenaient aussi part aux débats que Maître Pouille et Marie-Christine Gryson-Dejehansart ont su mener sans dérapages. Une part des propos a porté sur le recueil de la parole de l'enfant pour préciser qu'en fait il a été mené de façon très professionnelle au moment de l'instruction mais a posé problème au moment de leur interrogatoire durant les procès d'assises, face  à l'agressivité des 17 avocats de la défense et devant leurs présumés agresseurs installés dans la salle d'audience comme spectateurs de leur procès.

Finalement, le public qui prend conscience de l'ampleur de l'enfumage qu'il a subi à propos de l'affaire d'Outreau cherche aujourd'hui à comprendre. L'ardeur d'Eric Dupond-Moretti à tout faire pour contrecarrer toute information qui remettrait en cause les idées reçues devrait inciter encore davantage à une saine curiosité. Le public a désormais ce qu'il faut à sa disposition.

Le documentaire a été sélectionné par le cercle des juristes pour l'obtention du Prix Debouzy. Après de nombreuses demandes de visionnage par des facultés de droit, l'ordre des avocats, la gendarmerie française, le syndicat de la magistrature, etc., les télévisons semblent enfin se réveiller. De plus, le DVD qui permettra à chacun de placer le documentaire dans sa médiathèque sera bientôt disponible.

Aussi l'impact de «  Outreau, l'Autre vérité  » est déjà bien réel. Il a ébranlé la conscience de nombreuses personnes qui l'ont vu, que ce soit en salle ou par l'accès en catimini aux versions piratées auxquelles les internautes peuvent accéder facilement. Il les a incités à approfondir leurs connaissances via les sites internet de réinformation (voir la liste ci-dessous),   via   les conférences, notamment celles de Jacques Thomet, via les ouvrages riches d'arguments plus précis, tels que celui de Marie-Christine Gryson-Dejehansart, déjà cité, celui de Chérif Delay/Serge Garde

«  Je suis debout 2  », ou encore celui de Jacques Thomet «  Retour à Outreau, contre-enquête sur une manipulation pédocriminelle 3  ».

En somme, le public qui veut vraiment savoir de quoi il retourne est aujourd'hui bien mieux armé qu'à l'époque des procès où les contre-vérités étaient prises comme argent comptant.

1  Eds Hugo et cie

Editions du ChercheMidi

http://www.kontrekulture.com/auteur/Jacques%20Thomet

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