L'existence d'Israël est-elle menacée ?
Mohssen Massarrat


Sous-marin allemand de la classe "Dauphin" (Photo dpa)

Mercredi 11 juillet 2012

La « menace sur l'existence d'Israël » n'est qu'un épouvantail dressé par Tel-Aviv, Washington et Berlin grâce à une débauche de propagande.

Si l'on en croit les médias et experts occidentaux main stream, Israël est menacé dans son existence même par ses voisins, l'Iran en particulier, et donc les États occidentaux, l'Allemagne en particulier, se sentent tenus de protéger les victimes des crimes nazis contre un nouvel holocauste. Le Président de la République islamique, Mahmoud Ahmadinedjad, a fortement contribué à étayer l'opinion dominante par ses propos populistes. La première justification que donnent Tel Aviv, Washington, Berlin et les autres de l'escalade des sanctions et menaces de guerre, c'est que le programme nucléaire iranien vise avant tout à la destruction d'Israël - même si leurs raisons d'agir sont diverses. Le Président israélien, Benjamin Netanyahu, se sent même le droit moral de menacer de plus en plus ouvertement l'Iran d'une guerre préventive, au besoin à lui tout seul.

Le gouvernement allemand a soutenu Israël non seulement dans son différend actuel avec l'Iran, mais bien avant le début du lancement du programme nucléaire iranien. Selon le Spiegel, l'Allemagne a participé au financement de la bombe atomique iranienne dès les années 60. La fourniture de sous-marins allemands se situe dans la ligne d'une politique moyenne-orientale et israélienne que l'Allemagne mène depuis près d'un demi-siècle. À ce sujet, gouvernement et opposition marchent toujours main dans la main. Lorsque Claudia Roth a déclaré que les Verts étaient opposés à la poursuite de la fourniture de sous-marins à Israël dans le cas où ceux-ci pouvaient être équipés d'ogives nucléaires, le Ministre de la Défense, Thomas de Maizière, a répliqué que « ces livraisons se situaient dans le droit fil de nos prédécesseurs» (Frankfurter Rundschau du 11 juin 2012). L'armement nucléaire d'Israël avec touts ses conséquences sur l'aggravation des conflits au Proche et Moyen-Orient, l'une des régions les plus instables du globe, a été secondé avec plus ou moins d'insouciance par tous les gouvernements allemands et - comme le montre le Spiegel - parfois en contournant l'opinion publique et les institutions démocratiques allemandes.

La révélation par le Spiegel de la contribution allemande à l'armement nucléaire israélien n'a provoqué pratiquement aucun débat, et un expert de la Fondation « Wissenschaft und Politik“ (Science et politique) a par exemple déclaré, dans la Frankfurter Rundschau du 5 juin, « moralement légitime » la fourniture à Israël de sous-marins nucléaires, même rétrospectivement; c'est fort inquiétant. Dans le contexte de cette démarche discutable la protestation de Günther Grass apparaît a posteriori aussi plus que justifiée. La thèse exprimée dans son texte en prose « Ce qu'il faut dire » - c'est Israël et non l'Iran qui menace la paix mondiale- mettait radicalement en question la légitimation apportée à Israël par l'Allemagne et la communauté internationale. Face aux conséquences dramatiques qu'aurait pour l'avenir du Proche et Moyen-Orient, pour la paix dans le monde et pour Israël lui-même, une foi inébranlable en l'hypothèse toujours reconnue d'une menace sur l'existence d'Israël, il est temps de la mettre en question. En effet, cette affirmation sert de base à la politique israélienne de l'Allemagne et de l'Occident en général et en particulier à l'importance accordée au programme nucléaire iranien, élevé ces dernières années au rang de problème mondial de premier ordre.

Supposons maintenant que Téhéran - comme tout le monde le prétend- mente effectivement à l'AIEA et à l'opinion mondiale en général et veuille en vérité, sous couvert de développer le nucléaire civil, se doter de l'arme atomique. Il faudrait ensuite se demander si le régime de Téhéran, une fois en possession de cette bombe, l'utiliserait réellement contre Israël. Cette thèse, colportée par les médias et politiciens occidentaux, néglige un fait: en anéantissant Israël, l'Iran prendrait le risque délibéré de tuer des millions de Palestiniens et de détruire le Dôme du Rocher - le deuxième sanctuaire islamique après La Mecque. On oublie également l'abc de la dissuasion nucléaire: « le premier à tirer est le deuxième à mourir. » On aurait certes d'excellentes raisons de critiquer le régime théocratique iranien, qui écrase ses propres opposants et le mouvement démocratique et enfreint gravement les droits humains. Mais lui supposer le désir de s'anéantir lui-même ainsi qu'une partie du monde musulman, voilà qui défie le bon sens.

Selon les principes de la dissuasion, l'Iran pourrait au mieux abolir le monopole nucléaire d'Israël et - comme l'ont fait Est et Ouest au temps de la guerre froide - commencer par établir un « équilibre de la terreur » au Proche et Moyen-Orient. Mais cela ne menacerait nullement l'existence d'Israël; en revanche cela constituerait une lourde menace pour son monopole de l'arme nucléaire et sa capacité à imposer ses quatre volontés au Proche-Orient et en particulier dans les territoires occupés palestiniens, sans risquer en retour de violentes réactions des États arabes. Et même dans la perspective toute théorique d'une perte de son monopole de l'arme atomique et de l'établissement d'un « équilibre de la terreur », avant que l'Iran ne dispose de la bombe atomique, Israël est déjà sur le point d'ajouter à sa capacité de première frappe (200 à 300 têtes) une capacité de réponse dont le cœur est constitué par les sous-marins allemands « Dauphin ». Selon l'article déjà cité du Spiegel, l'Allemagne a déjà livré trois de ces sous-marins pourvu de tous les équipements nécessaires à une attaque nucléaire. Avec trois de plus- qui doivent être livrés d'ici à 2017- l'armada sous-marine d'Israël serait en mesure d'opérer dans le Golfe persique, donc dans les eaux territoriales de l'Iran, et de menacer facilement ses installations nucléaires au moyen de missiles de croisière. Car les nouveaux sous-marins sont pourvus des derniers perfectionnements techniques et disposent d'une autonomie d'environ 18 jours par rapport à l'air atmosphérique. Une durée qui permet de faire l'aller-retour entre la Méditerranée et le Golfe persique sans remonter une seule fois à la surface. Ce qui supprime le talon d'Achille logistique de la deuxième frappe israélienne. Ami Ajalon, un spécialiste israélien des questions militaires et ex-directeur du Shin Bet (le service de renseignement intérieur) qualifie l'acquisition de ces sous-marins de décision stratégique.

Mais le but militaire de ces sous-marins, qu'Ajalon définit peu clairement par la périphrase « accès à une ‘profondeur stratégique' », les rédacteurs du Spiegel lui donnent son vrai nom de « capacité de deuxième frappe nucléaire». Toutefois, ils passent sous silence la fonction de cette « capacité de deuxième frappe nucléaire » soutenue par la marine, et pire encore: en terminant leur article par les propos d'un officier de marine israélien : « Nous ne pouvons pas oublier le passé, mais nous ferons tout pour empêcher un nouvel Holocauste », ils laissent la porte grande ouverte à une interprétation qui légitime la fourniture des sous-marins allemands. Effectivement le sens militaire des sous-marins et de la capacité de deuxième frappe n'est pas d'empêcher un nouvel Holocauste, mais de conserver à Israël le monopole de l'arme nucléaire au Proche et Moyen-Orient, même si un autre pays - par exemple l'Iran - disposait d'une capacité de première frappe. Car d'éventuelles bombes iraniennes seraient alors dans la ligne de mire de la deuxième frappe israélienne et perdraient toute capacité de dissuasion, puisqu'Israël pourrait les mettre hors circuit à partir du Golfe persique avant même qu'elles n'entrent en action.

Et si Israël, même pourvu d'une capacité de première et de deuxième frappe nucléaire, continuait à se sentir menacé, il lui resterait la possibilité tout à fait réaliste d'intégrer l'OTAN. Protégé par le parapluie nucléaire états-unien, britannique et français, Israël jouirait alors d'une sécurité assurée même face à l'une des grandes puissances nucléaires mondiales, et donc à plus forte raison contre l'Iran qui ne possède toujours pas l'arme atomique. Et Israël se trouve en fait protégé depuis longtemps par le parapluie nucléaire de l'OTAN. Il participe à diverses manœuvres militaires de l'Alliance atlantique en Méditerranée et ailleurs. Et de surcroît le bouclier anti-missiles de l'OTAN, qui doit bientôt être installé en Méditerranée, le garantit contre des attaques de missiles à moyenne portée. Il est pratiquement impensable d'être plus en sécurité qu'Israël ne l'est déjà.

Pourquoi - il faut désormais poser la question avec insistance - Israël se contente-t-il de la protection informelle de l'Alliance atlantique et ne choisit-il d'être membre officiel de l'OTAN ? Du point de vue de la politique de sécurité, personne ne pourrait plus ignorer la solidité de l'appui occidental à Israël. Tout ennemi potentiel d'Israël se saurait alors menacé d'anéantissement par l'OTAN. En outre on peut aussi se demander pourquoi l'Occident lui-même n'a pas proposé à Israël d'entrer dans l'OTAN. Si vraiment la sécurité de ce pays était son principal souci, ce serait la meilleure solution. Or l'Occident préfère sans cesse évoquer le danger que constitue l'Iran pour l'existence d'Israël. Pourquoi ? Israël comme l'Occident ne le savent que trop et ils savent aussi pourquoi ils évitent d'envisager une adhésion formelle d'Israël à l'OTAN: le pays devrait alors renoncer sans conditions à occuper la Palestine et se retirer derrière ses frontières de 1967. Enfin l'adhésion d'Israël à l'OTAN se heurterait à la résistance énergique de la Turquie qui lierait son accord au respect de la résolution 242 de l'ONU. Et Israël ne pourrait retarder plus longtemps son adhésion au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), donner accès à son propre arsenal et sans doute le détruire.

Quand on en arrive à ce point, la pure logique révèle clairement les véritables raisons des gouvernements israéliens. Dans l'affaire du conflit nucléaire avec l'Iran, ils ne se soucient ni d'empêcher un nouvel Holocauste ni de jouir d'une sécurité maximale, mais avant tout de conserver intact le statut quo politique, c'est à dire l'occupation de la Palestine et aussi le monopole de l'arme nucléaire dans la région. L'élite sioniste israélienne n'a toujours pas renoncé à son rêve d' « Eretz Israël » (le grand Israël).

Mais pourquoi les gouvernements occidentaux s'empressent-ils de satisfaire les souhaits d'Israël, acceptant ainsi d'être convaincus de mener une politique de double morale contraire au droit international ? L'influence du lobby international israélien ne suffit pas à l'expliquer, car elle supposerait une absence de volonté politique et d'intérêt chez les USA et les autres États occidentaux. Il semble plus réaliste de conjecturer que les deux parties, Israël et l'Occident, ont les mêmes intérêts dans au Proche et Moyen-Orient. Israël veut empêcher à tout prix que l'Iran ne se dote de l'arme nucléaire, afin que son propre monopole nucléaire lui permette de conserver sa marge de manœuvre, elle-même subordonnée à des buts idéologiques. Et pour les USA il s'agit de rétablir dans la région la plus riche du monde en hydrocarbures une hégémonie que leur a fait perdre en partie la chute du Shah et la consolidation de la République islamique d'Iran comme puissance régionale après le renversement de Saddam Hussein. Le monopole nucléaire d'Israël constitue un élément substantiel de la domination militaire états-unienne dans la région.

Vue sous cet angle, la « menace sur l'existence d'Israël » se révèle n'être qu'un épouvantail dressé par Tel-Aviv, Washington et Berlin grâce à une débauche de propagande. Le résultat en est la légitimation inconditionnelle de l'occupation de la Palestine et du monopole nucléaire d'Israël par les USA et l'Allemagne. Ce ne serait alors pas la sécurité d'Israël que la Chancelière Merkel aurait élevée au rang de « raison d'État pour l'Allemagne » en mars 2008 à la Knesset, mais précisément cette occupation et ce monopole, et donc en définitive l'objectif sioniste d'un « Eretz Israël ». Le besoin légitime de sécurité d'Israël, lui, ne sera pas satisfait par une capacité de première et seconde frappe ni par une politique de sécurité dirigée contre les États du Proche et Moyen-Orient, mais en élaborant avec eux cette même politique. Il est grand temps de planifier une Conférence pour la coopération et la sécurité commune au Proche et Moyen-Orient sur le modèle de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975.

Traduction: Michèle Mialane

Mohssen Massarrat , Allemand d'origine iranienne, Mohssen Massarrat, né en 1942 à Téhéran, vit depuis 1961 en République fédérale d'Allemagne. De 1962 à 1967, il a fait des études d'ingénieur des mines à Clausthal-Zellerfeld et à l'Université technique de Berlin, où il a obtenu un diplôme d'ingénieur. De 1967 à 1974, il a étudié les sciences politiques à l'Université libre de Berlin où il a présenté sa thèse de doctorat. En 1978, il a obtenu le titre de docteur en sciences économiques à l'Université d'Osnabrück où il a enseigné les sciences politiques de 1982 à 2008.  

Membre actif du mouvement pacifiste, il a été l'un des fondateurs de la Coalition pour la vie et la paix. Il fait en outre partie du conseil scientifique du mouvement anti- mondialisation ATTAC.

En avril et mai 2004, il a fait un séjour de recherches en Iran.

Ses domaines de recherches sont l'économie politique, la théorie de la démocratie, la mondialisation, la paix et les conflits ainsi que le Proche et le Moyen-Orient. Il a publié sur ces sujets plus de 400 livres et articles de journaux et de revues, entre autres : L'Ordre américain, Hégémonie et guerres du pétrole, ainsi que Capitalisme - Puissance inégale- Développement durable : Perspectives de transformations révolutionnaires

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