greek crisis

Le blog de Panagiotis Grigoriou.

Cartons d'automne.

samedi 5 octobre 2013

Carnet de notes d'un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque


Les jours passent, nos expressions se gavent immodérément du temps présent, et à l'aube, il fait déjà bien frais pour la saison. À peine plus que dix degrés Celsius à Athènes ce samedi 5 octobre au réveil, tout le monde commente l'événement alors davantage que la politique dite courante. Forcément, les athéniens se préoccupent d'emblée et d'un peu trop tôt de leur chauffage. Le calvaire c'est alors pour bientôt car tout le monde redoute le froid dans l'appauvrissement... et autant son contraire, c'est ainsi que les marchands de bois livrent de la sorte leurs premiers clients. Après tout et à l'automne, ce n'est pas le froid qui chasse les hirondelles, comme dirait, certes en d'autres circonstances l'auteur de “ L'amour sans le faire ”.  

Athènes, fin septembre 2013


On remarquera autant, cette exacerbation grandissante quant à la médiatisation de la “la chute” de l'Aube dorée cette semaine. De son côté, une certaine presse (de gauche par exemple), n'hésite pas à caricaturer très durement “nos” dirigeants de la coalisation des gouvernants, Antonis Samaras en tête, en une sorte... d'épigones des totalitarismes d'antan. Tel est d'ailleurs le sentiment largement partagé ici pour pratiquement 80% des habitants du premier pays... aplati par la Troïka grandeur nature: “ Samaras, Venizélos et les autres sont au moins passibles de lourdes peines, déjà pour crime de haute trahison ”, c'est le refrain connu d'une certaine rue mais qui s'use aussi je dirais avec le temps comme tant d'autres expressions.

Et ce n'est pas du “populisme” que de l'entendre ainsi se répéter en boucle, surtout après le “viol collectif” infligé à notre Constitution, en réalité déjà annulée dès le premier mémorandum en 2010. Le funeste ministre des Finances de Georges Papandréou de l'époque, celui qui a même supervisé le trucage (prouvé) des statistiques économiques de la Grèce entre 2009 et 2010, en les aggravant évidemment pour ainsi “promouvoir” notre... premier printemps d'hétéronomie caractérisée, il aurait ainsi promis au FMI à l'époque (et) en échange de l'intervention “salvatrice” de l'organisme, la “ neutralisation dorénavant des entraves que poserait la Constitution ”. Les reportages relatant ces faits jamais démentis sont fort nombreux,   sans évoquer les innombrables articles dont le titre invariablement est: “ Si c'est vrai, Georgios Papakonstantinou doit être pendu place de la Constitution ”.  

Après la fête de SYRIZA. Athènes, le 5 octobre


“Éventualité” qui, évidemment, ne dédouane aucunement ceux qui parmi les Aubedoriens ont commis les crimes déjà connus ou même encore mal élucidés. Sauf que dans une telle... transition climatique, la survie des dinosaures du vieux bipartisme grec, de surcroit clientéliste et initiateur de la razzia troïkanne sur le pays, fait apparaître aux yeux de l'opinion (cette dernière déjà en phase de fascisation accélérée), les crimes des néonazis comme insignifiants, comparés à la gravité des faits reprochés aux coalisés qui nous gouvernent. Voilà tout le “paradoxe” grec de cet automne si frisquet.

Pendant ce temps, le traitement anthropophagique de la part des journaux et surtout de la télévision pour ce qui est des inculpés néonazis, montrés menottés les visages contorsionnés, a atteint le sommet de l'inacceptable, images qu'une certaine presse française disons bien “sérieuse”, n'a pas manqué de reproduire, hélas.

Je note que ces mêmes chaînes de télévision privées et qui appartiennent aux promoteurs immobiliers (et autant promoteurs du bipartisme de la cooptation économique et politique du pays, depuis plus de quarante ans), ont depuis longtemps fonctionné dans l'illégalité, quant à l'attribution de leurs fréquences, et elles ont bénéficié et bénéficient toujours des “largesses” des banques sous caution du PASOK et de la Nouvelle démocratie. De ce fait, ces médias sont loin que d'honorer leurs dettes (et souvent même les cotisations sociales pour leurs salariés), au moment où, les dettes des “autres”, conduisent les deux tiers du pays à la mort économique, voire à la mort tout court (en passant le cas échéant par la prison).

D'autant plus, que ces mêmes chaînes ont déjà pratiqué et abusé d'un hypothétique “lifestyle”, acculturant (“l'hypothète” en grec moderne c'est également le.. suppositoire), anti-démocratique, fascisant, dégradant, stupide mais alors “perpétuel”, de semaine en semaine et de jour en jour, “lifestyle” faisant copieusement l'éloge et l'apologie des néonazis et ceci, bien depuis au moins deux ans. Quant aux “grands journalistes et analystes” il y a à peine un mois que certains d'entre eux, suggéraient la formation d'une collaboration étroite, entre la Nouvelle démocratie et une “ Aube dorée adoucie ”. À moins, que toute cette dernière mascarade du moment, finira par... générer enfin cette version adoucie de l'Aube dorée, tant désirée par certains adeptes de la Troïka, ainsi que par quelques proches conseillers, élus et parfois ministres au gouvernement Samaras, et qui revendiquent ouvertement leur appartenance à l'extrême-droite, tout en se vantant bien entendu.  

La presse et les inculpés de l'Aube dorée. Octobre 2013


Tout cela est fort connu et diversement partagé ici par le plus grand nombre. D'où “l'erreur” peut-être monumentale d'Antonis Samaras et des siens et qu'au demeurant, risque de renforcer l'Aube dorée plus qu'autre chose. Car lorsqu'un régime d'exception démocratique devenu la règle, qui plus est, une règle dictée par une Troïka illégitime et en violation de la Constitution et piétinant la dignité de tous, lorsque donc un tel régime met en scène une bien piètre opérette pour ainsi juger les nazillons de la dernière pluie et de la neige fondue de la junte des colonels, le fiasco alors guette.

Cette pluie en plus, et qui d'ailleurs est celle du régime d'exception sous la dictature de la Troïka, tournerait peut-être en orage. Alors, tout peut prendre une allure bien plus dangereuse qu'initialement “prévu”. Surtout lorsque la guerre civile et ses séquelles sont loin d'être oubliées, car transmises et remémorées d'après les appartenances tachées du sang alors versé des uns et des autres. Les élites européistes et allemandes qui ont ainsi fait de la Grèce... un cas clinique de l'École de Chicago, seront du moins sévèrement jugées par les historiens du futur, y compris pour avoir attisé le feu néonazi chez nous, et bientôt chez eux (?), cela est toujours à craindre.

Antonis Samaras, déjà piètre politicien et menteur avéré (il s'est fait élire en promettant la fin des mesures d'austérité et la renégociation du mémorandum, sauf que la responsabilité des électeurs est autant énorme, car ils n'avaient qu'à mieux ouvrir leurs pauvres yeux), Antonis Samaras serait un homme politiquement très dangereux, y compris pour son propre camp, et ils sont déjà fort nombreux, tous ceux qui à la Nouvelle démocratie historique, désapprouvent en privé ou en petit comité, l'extrémisme et l'amateurisme des actuels dirigeants de leur parti. Déjà que nos gauches ne sont pas toujours à la hauteur, voilà que la droite historique et hystérique tombe bien trop bas, ce qui ne présage rien de très rassurant, et ceci, bien indépendamment des idées politiques des uns ou des autres finalement.  

Athènes, 2013


Christos le voisin, est parti travailler ce week-end. Il travaille en “électron libre” deux à quatre jours par mois, et encore. “ Je n'ai guère le choix, lorsqu'on me sollicite pour une installation j'y vais à n'importe quel moment et pour n'importe quel prix ”, nous ne pourrons donc pas boire le café ensemble. Il est triste et de ce fait, il a de moins en moins envie de s'exprimer, à l'image de tant d'autres.

Je remarque cependant qu'un certain mutisme s'installe alors chez nous et entre nous. Les Grecs se parlent de moins en moins, surtout entre inconnus, la méfiance se généralise, tout comme le silence. On retrouve cette peur du temps des colonels, ou peut-être, sa version... remastérisée déjà par morceaux savamment administrés à la population depuis les sommets du régime du troïkanisme. D'où en partie, l'explication à l'inaction, les gens devenus depuis longtemps déjà des “idiotès” - d'où le mot “idiot”, c'est-à-dire “privatisés”, sont tenus par ce nouveau régime de la terreur, amalgamant la propagande, la démesure, la surprise et “l'automutilation” - autrement-dit, l'intériorisation d'un régime et d'un univers concentrationnaires de type nouveau car justement inédits.

Ce caractère alors novice - et impossible à analyser en quelques lignes seulement - brouille autant nos gauches (et pas seulement) ici, qu'il risque de se généraliser ailleurs à travers la trop vielle Europe du cercle socialement polaire des Européistes convaincus. Chez nous, on finit tout de même par (presque) tout comprendre, d'où sans doute, cette instrumentalisation précipitée du leurre des nazillons de l'Aube dorée. Nous sommes alors si loin déjà du temps des manifestations des premières années du mémorandum.  

Les manifestants, les passants et le mendiant. Athènes, 2011.


Je me disais alors à l'époque que tant qu'une certaine jonction ne sera pas réalisée entre les manifestants, les passants et les mendiants, tous si différents et autant indifférents... entre eux, eh bien, ce morcellement de la société prendrait l'avantage sur la réaction en somme potentiellement “naturelle” des vaincus. Mes craintes d'alors sont ainsi devenues la réalité actuelle, l'Aube dorée en plus. Sauf que de plus en plus, certaines retrouvailles créatrices de nouveaux liens et ainsi d'espoir sont en train de naître, au-delà parfois des partis et des auteurs disons institutionnels, y compris et surtout, issus du monde de l'anti-mémorandum. Dans pareil cas par contre, les langues retrouvent toute leur liberté, car protégées et même rassurées. Cette contre-culture au “Samaritisme réellement appliqué” trouve toute son expression à travers la danse, la musique, la solidarité pratique par exemple, tout comme par une certaine manière de faire de la politique plus ouverte que par le passé (parlant de la gauche déjà).

Comme pour ce qui est apparemment, du mouvement du “Plan B” de la sortie de la zone euro, bien actif et déjà assez visible, bien que censuré de presque tous les medias, ceux de SYRIZA compris.  

Hors de l'Euro pour reprendre la main sur notre pays - Plan B ”. Athènes, octobre 2013


Depuis les manifestations de 2011 et jusqu'à cet automne des piètres pluies, le “déclic” est alors grand, ce qui ne signifie pas que ce “déclic” soit... automatiquement généreux. Pour faire court, je dirais que le “Plan B” ne serait plus qu'une affaire de gauche et entre les gauches. Ce qui devient urgent, c'est alors d'aller au-delà, et de... faire voler en éclats l'Eurobaromètre, avant que le contexte de la haine ambiante ne nous fasse littéralement exploser en tant que société. Car la Troïka a déjà ôté toute référence à l'État de droit et au contrat social ouvrant la porte à la violence de tous les côtés et d'abord du sien.

La sur-médiatisation des extraits issus des écoutes téléphoniques frappant certains élus et membres de l'Aube dorée, ainsi rendus révélées par la presse de notre régime d'opérette politique, laisse malheureusement à penser, que de nombreux autres citoyens et même élus seraient espionnés, évidemment, sans aucun mandat d'un juge par exemple. On sait aussi (d'après Radio Real-FM au 4 octobre en tout cas), que lorsque le chef du parti de la Gauche Radicale Alexis Tsipras veut exprimer quelque chose d'important à ses conseille et collaborateurs les plus proches à l'intérieur de son propre bureau de la place Koumoundourou, il parle alors d'une voix considérablement basse, par précaution, car les micros dirigés ou pas, ne sont guère trop loin.  

Panneau ex-publicitaire. Athènes, le 5 Octobre


Tout cela, le “grand journalisme” européiste l'ignore, car il ne peut que l'ignorer finalement, au même titre que la “violente aporie” (manquement) constitutionnelle qui caractérise, à la fois l'affaire de l'Aube dorée des prisonniers, et autant, l'amateurisme politique aveugle et dangereux d'Antonis Samaras et des siens. D'après nos meilleurs spécialistes en droit constitutionnel, au pénal, ce ne sont pas les collectivités qui sont jugées tels les partis politiques, mais les crimes potentiellement commis par leurs membres. C'est ainsi que l'Aube dorée qui a bien pris soin de déposer auprès des Tribunaux, une version “soft” de son règlement, ne peut pas être déclarée illégale si facilement, d'autant plus, que le paradoxe fait que ces citoyens inculpés mais pas condamnés, sont à la fois des élus qui légifèrent, au même titre que leurs collègues dont certains d'entre eux (et pas tous, n'en déplaise aux simplismes du “tous pourris”), devraient d'ailleurs également prouver leur innocence devant les tribunaux et pour de faits sensiblement plus graves, ou du moins, autant graves mais par un autre niveau.  

Immeuble “souffrant” au centre d'Athènes. Septembre 2013


Avant que... des pendaisons sensiblement sommaires “n'embellissent” la place de la Constitution comme c'est le vœu le plus largement formulé par une majorité des Grecs... et des plus moyennement réfléchis, il est grand temps qu'un autre gouvernement (centré si possible à gauche), rétablisse enfin le régime démocratique sans pour autant répéter ses graves errements dans le clientélisme, le népotisme ainsi que la haute-trahison. C'est dramatique de le dire ainsi mais désormais c'est vrai. On croit savoir (Real-Fm semaine du 2 octobre) que les sondages non-publiés donnerait plus de six points d'avance à SYRIZA par rapport à la Nouvelle démocratie et qu'une partie de centristes de la Nouvelle démocratie se déplacerait vers le parti de la Gauche radicale, d'où le très mauvais calcule d'Antonis Samaras qui pense pouvoir récupérer les électeurs de l'Aube dorée.

Peine perdue. Et ce n'est d'ailleurs un tel gouvernement du renouveau, qui annulerait le mémorandum, qui chasserait la Troïka, et qui amènerait les citoyens devant leurs responsabilités: la liberté a enfin un prix... comme la dette dite souveraine ! C'est sous ce gouvernement précisément que non seulement certains adeptes et cadres de l'Aube dorée seraient jugés pour leurs crimes, mais aussi, certains responsables politiques du vieux bipartisme de la Nouvelle démocratie et du PASOK.

Par temps mauvais et nostalgique, nos balades en ville nous emmènent parfois dans certains endroits emblématiques de notre vie politique et culturelle de l'ancien temps. Comme devant telle salle, où se produisit jadis Manos Hadjidakis par exemple. Il haïssait alors tous les fascismes, autant que toutes les hypocrisies. Certains de mes amis et qui avaient connu de près le grand compositeur, prétendent qu'il serait bien trop accablé en ce moment, déjà qu'il l'était à leurs dires, longtemps avant sa disparition physique survenue en 1994.  

Manos Hadjidakis passait par là. Athènes, octobre 2013


À Athènes, on vend désormais des maisons pour chiens à seulement 15 euros et la pluie est de retour. Nous nous préparons pour un hiver rude mais désormais, nous savons que tout peut aller très vite comme aussi trop lentement. Le court XXIe siècle risque d'être long, trop long, ou sinon... il explosera dans nos mains. L'Europe doit (se) réinventer, l'Europe, et pas l'Union Européenne. Elle peut aussi mourir dans un sens, l'Europe ou l'Union Européenne, c'est selon.  

La pluie à Athènes. Octobre 2013


Certains amis ou sinon leurs enfants déjà bien grands, préparent en ce moment leurs cartons. L'été n'est plus, l'embellie des économistes et des “analystes” du “Samaritisme” ne viendra jamais, on “libéralise” complètement les licenciements faisant de la Grèce la première zone alors... très franche de la Zone euro grandeur nature, et (trop) visiblement administrée par les élites allemandes comme le reste de la zone paraît-il, c'est ainsi et seulement ainsi que les cartons sont prêts. Il y a ceux qui se suicident, d'après la presse de cette semaine il y aurait un suicide toutes les dix-huit heures en Grèce en ce moment - du jamais vu, et il y a en plus tous ceux qui s'apprêtent à émigrer... forts de leurs cartons et de leurs valises.

Nous autres pourtant, (nous) resterons sous la pluie... et sous le nouveau siècle. Nous préparons aussi nos cartons, mais c'est pour mieux aider nos animaux adespotes (sans maîtres) à tenir l'hiver. Autant que nous-mêmes.  

* Photo de couverture: Revue Unfollow, Octobre 2013

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