greek crisis

Carnet de notes d'un ethnologue en Grèce
Une analyse sociale journalière de la crise grecque

Le blog de Panagiotis Grigoriou.

mercredi 2 octobre 2013

Le lièvre et le logos.


Les bonnes nouvelles s'avèrent parfois fort mauvaises. Le contraire est tout autant vrai, et surtout en Grèce par les temps qui courent. Ce matin 2 octobre, parmi les quatre des six députés de l'Aube dorée qui comparaissent devant les juges d'instruction, les trois (premiers ?) ont été libérés sous contrôle judiciaire, dont, Ilias Kassidiaris, porte-parole du parti il y a encore peu. La mise en libération des élus néonazis, bien qu'inculpés “ d'appartenance à une organisation criminelle ”, aurait pu être interprétée comme étant une bien mauvaise nouvelle, sauf que malheureusement nous devrions nous en réjouir. Et ceci pour une raison si évidente et qui pourtant échappe (ou “échappe”) complètement aux éditorialistes du journal “ Le Monde ”.

Ilias Kassidiaris sortant du Palais de Justice. Athènes, le 2 octobre  


La dite “liquidation” de l'Aube dorée n'est pas un acte posé et pesée d'un gouvernement démocratique. Tous les spécialistes du droit en Grèce (à l'occasion traités de... bande de rigolos par les medias mainstream), tel Kostas Chryssogonos, répètent depuis le départ de cette affaire, que la procédure est en partie illégale et que la Constitution a été violée une fois de plus. D'ailleurs, l'immunité de ces députés n'a pas été levée au préalable, et la Chambre n'a pas statué et surtout, l'usage du chef d'accusation dans une procédure de “ flagrant délit durable ” ne repose sur aucune règle de droit, sinon qu'à moitié et encore. Le meurtre de Pavlos Fyssas ainsi que tous les autres commis par les membres de l'Aube dorée, ne peuvent pas relever du cas du flagrant-délit... durable et extensible. Et au gouvernement, c'est paraît-il le choc depuis ce matin.

Les députés du chef Michaloliakos, une fois libérés ils n'ont pas manqué à leur style ni à leur fond, les insultes à l'encontre des journalistes ont été la règle, voire, un coup de pied d'Ilias Kassidiaris, éloignant ainsi... violement le cameraman de l'Agence Reuters. L'opinion publique demeure toujours très dubitative et certains, à gauche au moins, n'ont pas la langue dans la poche: “ Le totalitarisme parlementaire issu des partis du mémorandum et l'Aube dorée, sont l'avers et le revers de la même médaille ”, peut-on lire sur le site de la mouvance gauche de Panagiotis Lafazanis au parti Syriza.  

Grecs... dubitatifs, octobre 2013


Les éditorialistes du grand journal du soir à Paris auraient à ce propos déjà un certain retard par rapport à nous, retard d'un petit siècle presque. Car nous, nous ne nous permettrons plus jamais par exemple, une telle analyse statique pour na pas dire “statutaire” sur la gauche, la droite ainsi que sur les extrêmes. Hélas même, nous ne le pouvons plus. Notre histoire est un peu longue à raconter, mais enfin, il faut le faire. Elle est quotidienne, elle est accablante, elle produit de la politique et surtout elle est en train de la subir, elle brode alors du sens commun et de la déraison à tous les étages de la société grecque. Yannis Kalikatzaros, médecin du service public restant, évoquait d'une voix alors grave sur Real FM, la fréquence désormais très élevée en épisodes cardiaques pouvant entrainer la mort, chez les sujets qui justement ne bénéficient plus de droits sociaux. Et nous sommes pratiquement trois millions de bénéficiaires... de la mort potentielle en ce moment en Grèce, autrement-dit, sans aucune couverture de type assurance maladie.

Honte aux politique et encore honte. Nos malades du cancer meurent faute de soins, ils n'ont plus aucun espoir, cela fait plus d'un an et demi que je les vois venir chez nous... puis partir bredouilles. Pas d'accès aux médicaments, chimiothérapies qui ne commenceront jamais, et tristesse, je les ai vus mourir. Je me sens immigrée dans mon propre pays...”,   témoignage d'une infirmière, Real-FM, le 2 octobre.  

Gros titres de la presse: les députés de l'Aube dorée menottés. Athènes, le 30 septembre


La presse grecque du jour enfin, n'évoque pas uniquement les suites dans “l'épiphanie” de la funeste Aube dorée, “épiphanie” en grec moderne signifiant également “de surface”. On vient d'apprendre qu'après trois ans de crise et donc de l'effondrement des cotisations sociales et de l'explosion du chômage (30% officiellement) et autant période de vol caractérisé des avoirs (titres) des caisses de la sécurité sociale et de prévoyance par les liquidateurs de la Troïka, c'est-à-dire, au profit des fonds spéculatifs qui en réalité dirigent la Grèce, eh bien, après trois ans de mémorandum, l'heure arrive où le montant des retraites baisseront au niveau d'une allocation de survie, et encore.

Ce même jour, le ministère des finances annonce son projet de loi quant au futur remboursement des dettes des “citoyens” envers l'État. Dorénavant, et à défaut de toute autre possibilité, les... sujets hellènes, pourront alors régler ces dettes en nature, plus précisément, en transférant la propriété de leurs biens immobiliers à l'État. Il a été souligné que dans pareil cas, l'administration “ ne rendra pas la monnaie ” lorsque la valeur du bien, dépasse alors le prix de la dette. L'âge des extrêmes c'est alors chez nous, en dans ce sens, nous sommes bel et bien un poste avancé du futur, du méta-capitalisme, de la négation même du concept de la propriété privée et du génocide économiquement organisé. Ce qui de fait, renverse au passage certains concepts et clivages issus du siècle précédent, autant qu'il invalide par la même occasion les “analyses” mainstream d'une certaine presse.  

Arrestation d'un député de l'Aube dorée. Presse du 30 septembre


Je note que jusqu'à présent, je n'ai aucunement ressenti une quelconque baisse de l'influence de l'Aube dorée au sein de l'opinion, bien au contraire je dirais. J'entends ainsi certains dire dans les cafés que “ l'Aube dorée remportera les élections municipales à Athènes, et ceci plus facilement qu'avant ”, d'ailleurs, l'essentiel dans la causalité du phénomène Aube dorée sont à rechercher dans l'extrémisme de la politique pratiquée par les “gouvernements grecs”, agissant en bonne partie sous ordre du troïkanisme. Et cette politique pratiquée est en train d'accélérer son tempo.

En somme, la coupure politique, la seule vraie, est la suivante: en accord, ou contre le mémorandum et plus les mouvements anti-mémorandum et qui ne sont pas fascisants agiront avec succès, moins il y aura de place laissé aux caricatures locales du néonazisme. Le paradoxe est que les tenants du nouveau totalitarisme de la troïka, se présentent comme étant les défenseurs du régime démocratique qui d'ailleurs eux-mêmes, ont déjà assassiné. “ Merci à votre démocratie ”, a ainsi crié un député de l'Aube dorée ce midi au moment de sa remise en liberté dans la cour du Palais de justice. Ils savent évidement provoquer ces gens, et rien de nouveau de ce point de vue.

Sauf que cette “démocratie” n'est pas la notre non plus. Et même les anarchistes ont réalisé... la taille du paradoxe, ainsi, sur une de leurs affiches que l'on découvre en ce moment un peu partout on peu lire: “ Ce n'est pas un rêve, ce n'est pas une utopie. La police nous sauvera du monstre du fascisme ”.  

Ce n'est pas un rêve, ce n'est pas une utopie... ”. Athènes, octobre 2013


Pourtant, de l'utopie dans l'air il y en a plein les yeux. Précisant l'avenir dans son régime d'exception, Antonis Samaras a indiqué aujourd'hui depuis les États-Unis où il se trouve, “ que dorénavant, et après l'Aube dorée, il va falloir s'occuper des autres extrémismes, ceux qui veulent par exemple conduire la Grèce en dehors de l'Union Européenne et en dehors de l'OTAN ”. Autrement-dit et pour ceux qui ne l'auraient pas compris, le PC grec (KKE), la mouvance gauche de SYRIZA, le parti de gauche ANTARSYA et le parti du “Plan-B” sont ces “extrémistes”. Aussitôt, ces partis de la gauche ont très vivement réagi ce soir du 2 octobre. “ Que Samaras exige alors des autorités des États-Unis où il se trouve en ce moment, que le FBI procède à l'arrestation de l'économiste - Prix Nobel de l'économie Paul Krugman, il est autant hétérodoxe que nous sur la question de l'euro par exemple ”, a déclaré Alekos Alavanos, ancien leader SYRIZA et actuel chef du mouvement “Plan-B” dont l'axe central de sa ligne politique est l'abandon de l'euro.

Voilà en somme le nœud dans l'actualité grecque qu'il va falloir défaire pour enfin y comprendre quelque chose. Depuis le dernier crime (en date) de l'Aube dorée, le pouvoir en place ainsi que son patronage troïkan, avancent d'un grand pas dans la consolidation de ce régime d'exception devenu la... règle d'or du moment historique, et ceci effectivement pour longtemps. Très longtemps.

D'autant plus, qu'en ce moment même, des habitants qui résistent à Skouries contre l'installation illégale (mais légalisée) des mines d'or chez eux, certains, ont été inculpés et tous sont accusés d'avoir participé à une organisation criminelle, comme les Aubedoriens et comme par hasard.  

La première pluie. Athènes octobre 2013


Bientôt, toute tentative de résistance et d'ailleurs pacifique, sera passible de peines de prison ferme car cela constituera un “crime”. Alors quelle... belle époque !

Et pour bien faire, les premières pluies de l'automne sont de saison à Athènes et ceci, par une grisaille encore timide. Car l'autre grisaille, celle du gouvernement ne l'est pas. En son sein, on y retrouve ce conglomérat extrémiste, issu de l'extrême-droite dure (Failos Kranidiotis, conseiller et proche d'Antonis Samaras le revendique aussi ouvertement que par le passé), du parti socialiste, le PASOK, jusqu'en juin dernier de la dite Gauche démocratique, et enfin, du parti de la Nouvelle démocratie qui n'a plus rien de très commun, avec le centre-droit de Karamanlis des années 1970-1980. C'est de l'extrémisme du néant et... du futur qu'il s'agit alors, et que nous aimerions voir certains autres pays échapper à une telle... eschatologie.

Paraphrasant la conclusion du grand quotidien... du soir dans son éditorial (“ Bonne nouvelle de Grèce, avec la fin d'un parti néonazi ”), je dirais qu'il est temps de regarder la réalité en face et la Troïka (représentant le FMI, l'UE, et la BCE) pour ce qu'il est: un groupe criminel qui n'a pas sa place dans un pays de l'Europe ou même d'ailleurs.

Entre-temps et ce soir, les Aubedoriens font la fête. Ils ont autant servi le véritable ordre nouveau que leurs propres visées. Je signale également à l'attention des journalistes du quotidien “ Le Monde ”, que l'Aube dorée hélas, n'en sort point affaiblie de cette dernière mascarade politico-médiatique. En tout cas pour l'instant. Lorsque certains enseignants me disent que leur mission dans les quartiers du Pirée est entravée par les élèves et les associations de parents d'élèves au point d'empêcher par exemple toute visite scolaire qui devrait faire découvrir aux adolescents les monuments de la résistance, de bannir toute mention au fascisme, au génocide du peuple juif par l'Allemagne des nazis, car ces élèves et leurs parents, se disent alors “tout simplement” proches de l'Aube dorée, situation qui se généralise depuis plus de deux ans maintenant, alors, c'est déjà très grave et encore moins facile que de reverser la tendance en seulement dix jours. Dix jours, qui n'auront finalement pas secoué le monde, sinon, en y rajoutant le grotesque au dramatique.  

Taverne abandonné servant d'habitation aux plus démunis. Athènes, octobre 2013


Lorsque par exemple les pratiques mafieuses de l'Aube dorée investissant le marché au poisson près du Pirée, relèvent d'une forme de violence aussi économique car désormais, la survie des uns c'est la mort des autres, y compris et aussi en intimidant ou en frappant des pêcheurs immigrés (Egyptiens) et enfin, lorsque les patrons grecs font appel à l'Aube dorée pour ne pas régler les (maigres) salaires à leurs employés immigrés, eh bien, sous ce contexte anthropophagique de la crise, d'ailleurs si bien organisé d'en haut et autant d'en bas ; ce n'est pas l'arrestation des députés de l'Aube dorée qu'y changera grand-chose.

Notre pays mourant devient chaque jour davantage un univers concentrationnaire de type nouveau. La dite “Union Européenne”, autrement-dit, le lobbysme le plus réellement existant du nouveau siècle et de l'ancien monde, y est d'ailleurs pour beaucoup. On vient finalement d'apprendre cette semaine, que justement, l'UE se prépare à fermer ses frontières aux Grecs qui recherchent du travail ailleurs, et ceci, sur proposition des représentants Britanniques, Néerlandais et Suédois, projet ayant d'emblée obtenu l'approbation de la délégation allemande.

Il s'agit précisément d'instaurer un arsenal juridique plus sévère pour faire face et ainsi stopper le flux de l'immigration économique vers l'Europe du nord, évidemment depuis les pays du sud comme la Grèce qui en ce moment sont en train de souffrir. Autrement-dit, il existera bientôt un plafond pour ce qui est du nombre de travailleurs qui se déplaceront depuis les pays suivants: Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Bulgarie et Roumanie, pays dont le taux de chômage atteint l'impensable.

Les entreprises même qui oseront embaucher davantage parmi ces travailleurs “d'importation” à partir les pays du désastre économique, subiront des sanctions pénales adéquates. Cette question importante a surgi il y a quelques semaines (début Septembre) lorsque lors d'une réunion à huis-clos à Bruxelles et comme une sorte de “non paper”, plus précisément au sein du Collège des Commissaires. Les participants avaient ainsi été informés de l'intention des eurodéputés néerlandais, britanniques et suédois, de déposer une proposition visant à imposer ces limites chiffrées, quant à l'absorption des migrants économiques en provenance des pays du sud de l'UE.

La question a pris une dimension polémique, conduisant Maria Damanaki, alors Commissaire grecque, à réagir vivement, exigeant l'interruption d'une telle discussion. Toutefois, tant le commissaire européen suédois compétent pour les affaires intérieures de l'UE, Cecilia Malmström ainsi que le groupe des ministres des pays nordiques au sein de l'UE, insistent pour ainsi modifier l'agenda sur la question puisque leurs gouvernements estiment qu'ils auront à affronter une importante vague de migration économique en raison de la crise dans le sud de l'UE (reportage de l'hebdomadaire “ Ta Epikaira ” sur son site internet.   C'est une nouvelle qui n'a pas été très médiatisée non plus, à cause de l'affaire de l'Aube dorée bien entendu. Au même moment, Evangelos Venizélos, propose l'acception d'une Assemblée Nationale au nombre de députés variable, et à la clé, une loi interdisant le recours aux élections partielles ou générales, lorsque certains élus démissionnent ou sont en détention et déchus de leurs mandats. Évidemment, on perd toute raison et la Constitution avec.

Dernière chose: les journalistes du quotidien “ Le Monde ” devraient être beaucoup plus prudents lorsqu'ils écrivent par exemple: “ Quatre des six députés ont comparu mardi 1er octobre devant deux juges d'instruction, et deux autres - dont le chef Nikolaos Michaloliakos - devraient être entendus d'ici à jeudi. Ils sont inculpés d'appartenance à une organisation criminelle. Un seul d'entre eux a été maintenu en détention, Iannis Logos ”.

Ce n'est qu'un détail, sauf qu'il serait dramatique que de ne pas le leur signaler: le nom du député de l'Aube dorée maintenu en détention n'est pas “Logos” (la Raison) mais Lagos (le lièvre).

La crise nous fatigue de plus en plus, et certains de “ses” journalistes alors parfois autant. Ces derniers peuvent être sympathiques et de bonne foi comme on dit, sauf que ce décalage dans le temps politique devenu chronique pour ne pas dire anachronique, rajoute à la rupture.

La Grèce prisonnière a déjà largué ses amarres.  


* Photo de couverture: En Attique, le 2 Octobre

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