"La Perte de Propriété de Son Propre Corps"      

Par Judith Trinquart. Médecin de Santé Publique

Les victimes d'actes sexuels non désirés s'érigent une sorte de défense psychique, ce que j'ai appelé la décorporalisation ou un désinvestissement corporel, la perte de propriété de son propre corps. C'est le même mécanisme dans le viol, la pédophilie ou l'inceste. Pendant l'acte sexuel, les personnes se détachent de leur corps pour ne plus en ressentir le vécu. Elles préfèrent ne plus être là psychiquement. De nombreux témoignages de prostituées rapportent : « Ce n'était pas moi, je n'étais pas là, j'étais ailleurs. » C'est vraiment un vécu dissociatif. Et ce n'est pas somatique, d'ordre neurologique, mais bien d'origine psychologique.

            Ce qui au départ est un mécanisme de protection va finalement avoir des effets très négatifs sur leur santé. Car leur seuil de tolérance à la douleur devient bien supérieur au nôtre. Elles n'ont plus de signaux d'alerte et ne sauront pas quand se faire soigner. Voilà pourquoi, malgré les missions spécifiques et un accès convenable à la santé, elles ne se soignent pas. Leur corps ne leur appartient plus, il est devenu une chose qu'elles négligent. Exemples : elles se font tabasser dans la journée par un client, mais sans en percevoir ni les coups ni la douleur ; elles peuvent également contracter une tuberculose, tousser comme des malheureuses pendant huit mois, et arriver à l'hôpital en phase terminale.

            Il ne s'agit pas ici d'une volonté consciente d'autodestruction, c'est un mécanisme involontaire d' autonégligence . L'anesthésie est là, elles ne s'en rendent plus compte. Le corps n'est plus qu'un instrument, un objet de dégoût. Et elles perdent la notion de le protéger. Certaines n'arrivent pas à s'anesthésier seules suffisamment vite, alors elles vont sombrer dans l'alcoolisme et les drogues pour pouvoir supporter les passes.

 

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