A l'ombre tutélaire de l'avantageux ministre,

  Monsieur Xavier Darcos.

Par Claire Seguin.

 

Deux ans d'enquête dont six mois à temps plein, week-ends compris, m'ont permis de comprendre quels étaient l'origine et les modes de diffusion des calomnies.

 

Résumé

Cinq facteurs combinés ont permis au piège de se refermer  :

•  A l'origine, une jalousie de collégienne dont les calomnies ont été encouragées, tout au long de nos études secondaires, par son entourage familial, lié à l'Education nationale.

•  Ma propre famille qui, bien qu'informée des médisances, ne m'a pas fait part de ce qui se disait et m'a calomniée à son tour.

•  Une cabale lancée contre moi par des étudiants que j'ai côtoyés en Hypokhâgne et en Khâgne au lycée Michel Montaigne de Bordeaux.

•  Le recours aux manipulations qui ont dû commencer dès l'adolescence, sans que je m'en rende compte, et qui sont devenues méthodiques et monstrueuses à partir du moment où j'ai consulté un premier psychiatre, lié à un réseau d'intellectuels de l'Education nationale.

•  Enfin, à toutes les étapes, une misogynie révoltante , avec son lot de lieux communs, préjugés, insultes récurrentes…

 

Développement

1/ Trente ans de tortures morales, est-ce assez cher payer le crime d'avoir été à 14 ans une lectrice plus performante que mes professeurs de collège ?

Une camarade de collège, fille d'enseignants exerçant dans le collège même où nous étions scolarisées, a commencé à me calomnier dès la quatrième, par jalousie, parce que j'étais allée à un voyage linguistique en Allemagne, son frère aussi, et pas elle. Hélas, elle avait une tante parisienne et ambitieuse, qui est devenue célèbre dans la littérature jeunesse grâce à l'Education nationale, d'où une partie des dérives médiatiques. De toute évidence, l'histoire leur a permis de se concilier un auditoire masculin complaisant, voire intéressé, et elles m'ont calomniée à deux pendant des années, par le biais de l'Education nationale, non seulement dans la petite ville dont je suis originaire, mais ensuite aussi à Bordeaux, puis à Paris, puis à Lyon… alors que de mon côté j'avais rompu les ponts depuis le bac.

J'ai revu la camarade en question trois fois depuis 2009 et elle a reconnu les faits. C'est elle-même qui m'a expliqué les causes de sa jalousie : le voyage en Allemagne, et plus tard une rivalité de filles face aux premiers flirts adolescents.

De son côté, la tante fait des demi-aveux dans sa thèse de doctorat et dans des articles parus dans la presse (notamment dans une revue publiée par son père). En outre, elle manifeste dans sa thèse sur la littérature jeunesse une insistance tout à fait anormale au sujet du premier roman que j'ai lu en abandonnant la littérature jeunesse, et dont j'avais parlé avec enthousiasme : Le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier. Je me souviens encore que ma camarade de collège s'était moquée de moi : je lisais des livres « pour les grands ». Sa tante écrit : « Etant donné que l'enfant de 14 ans possède 19800 mots, compte tenu du fait que Théophile Gautier en utilise 35 à 40000, on conclura que Le Capitaine Fracasse est un classique pour surdoués… », ajoutant plus loin qu'on ne peut le lire qu'avec « un goût pervers pour le Petit Larousse ». Elle y revient ensuite à plusieurs reprises pour descendre en flèche le roman. Elle se déclare enfin dans cette thèse une angliciste passionnée.

Le Capitaine Fracasse, roman par ailleurs marginal, raconte les aventures d'un nobliau désargenté qui entre dans une troupe de théâtre. Son univers est très proche de celui de Ponceludon de Malavoy, le personnage du film Ridicule … La mécanique de l'imaginaire devient alors mieux compréhensible… Mais comment, me disais-je, une fille de paysan peut-elle être représentée si souvent sous la forme d'un nobliau de province ? CQFD.

 

2/ Votre père répond-il à vos questions ? Répondez-vous à celles de vos enfants ?

La spirale de la calomnie a été possible parce que de son côté ma famille, informée des médisances, ne m'en a pas fait part et a même nié, pendant des années, en être informée lorsque je posais des questions. Je pense qu'elle a contribué à alimenter la diffamation par le biais de mon père et de l'une de mes cousines, plus âgée que moi, tous les deux entrés dans l'Education nationale à 14 ans pour devenir instituteurs. Dès l'adolescence, j'avais développé une violente antipathie pour le mari de la dite cousine, lui-même professeur d'histoire-géographie dans un collège, et j'avais cessé de les fréquenter avant mes vingt ans.

Il faut comprendre qu'il y a un conflit de culture entre ma famille d'origine, réactionnaire, et celle de l'Education nationale bien-pensante. J'avais toujours entendu mes parents ou cette cousine et son mari se positionner comme des socialistes aux idées progressistes et généreuses. J'ai moi-même reçu une éducation féministe sans entendre exprimer la moindre réserve à cet égard. Ma mère semblait y tenir beaucoup. Après le décès de celle-ci, lorsque mon père et ma cousine ont essayé de me reprendre en main, les masques sont tombés, et leur attachement aux valeurs réactionnaires de la famille s'est dévoilé, avec leur hypocrisie.

Des recherches généalogiques m'ont révélé que j'avais ainsi des « cousines », depuis deux siècles, qui avaient été « éliminées » par la famille. Il s'agit de familles rurales de petits propriétaires agricoles qui fonctionnent selon le mode d'un groupe endogame, et qui se marient entre elles à l'intérieur d'un territoire de quatre à cinq villages, sur un périmètre d'une vingtaine de kilomètres environ. Parfois, certains hommes se marient en dehors du clan, et prennent une épouse dans un village de la région un peu plus éloigné.

C'était le cas de mon père, qui s'est marié avec une charentaise, originaire de l'Aunis, alors que lui-même était saintongeais. Cela correspond aussi à mon « vécu », qui a été tout au long de mon enfance celui d'être traitée comme une « étrangère » dans ma propre famille. J'attribuais l'attitude de ma famille au fait que je vivais en dehors des villages d'origine, et que je recevais une éducation différente.

Ce sont en priorité les filles de ces femmes épousées en dehors du clan qui semblent exposées : célibat et décès prématuré vers la quarantaine, que rien ne peut justifier, dans des familles qui semblent par ailleurs très équilibrées. On y vit plutôt longtemps et on constate des mariages jeunes et durables, une grande stabilité géographique et professionnelle, des accidents de parcours rarissimes, des inscriptions sociales traditionnelles et régulières (cérémonies religieuses pour les grands événements de la vie, type baptême…) ou contrats de mariage établis chez un notaire local). Bien évidemment, la sœur morte à quarante ans sans descendance laisse au groupe sa part d'héritage intacte.

Phallocratie et misogynie traditionnelles semblent se combiner pour dénoncer certaines femmes, à l'intérieur d'un groupe, comme ridicules, stupides, laides, méprisantes, immorales, etc. Je connaissais certaines plaisanteries misogynes récurrentes dans ma famille, et je m'en plaignais parfois. Mes parents prétendaient ne pas les partager. Je n'imaginais pas que les rires puissent aller jusqu'à l'assassinat.

D'autre part l'une des caractéristiques de mon statut d'étrangère dans la famille est que j'ai été exclue des conversations : aucune transmission explicite des valeurs de la famille, de son histoire, des règles de vie respectées par le groupe ne m'a été accordée. Ce processus-là (phallocratie, misogynie, modes d'exclusion à l'intérieur d'un groupe…) n'est pas propre à ma famille : on l'observe dans l'ensemble de la société. Mais il prend ici un caractère exceptionnel en raison du conflit de valeurs incompatibles mais revendiquées en même temps, les unes au sein de ma famille d'origine, et les autres par soumission à la Doxa bien-pensante de l'Education nationale, elle-même plus hypocrite qu'on ne l'imagine.

Soyons clair  : le problème n'est pas la teneur des idées des uns ou des autres. Après tout, chacun a le droit d'avoir les siennes. Mais il s'agit bien de l'invraisemblable hypocrisie à l'intérieur de la famille elle-même, hypocrisie qui s'est répétée dans l'Education nationale.

 

3/ Vos collègues ont-ils un droit de regard sur votre sexualité ?

Ni au collège, ni au lycée, aucun de mes professeurs ne m'a posé des questions ni fait part de ce qui se racontait sur moi. A aucun moment, un seul de mes professeurs, ou deux d'entre eux, ne m'ont retenue en tête à tête dans une classe pour vérifier le bien-fondé des ragots qui circulaient sur mon compte. A défaut de m'avertir au sens strict, ils m'auraient au moins mis la puce à l'oreille. Face à moi, je n'ai eu que des visages souriants qui se répandaient en éloges. Certains compliments, avec le recul, ont un tintement très déplaisant. D'autre part, je percevais très bien que « quelque chose n'allait pas ». L'hypocrisie des enseignants que je côtoyais ne faisait qu'aggraver mon désarroi. Certains étaient peut-être sincères. Mais aucun ne m'a aidée.

Dans l'Education nationale, pour une frange non négligeable du personnel enseignant, et en particulier dans la hiérarchie, le bon enfant est l'enfant délateur qui vient confier aux oreilles gourmandes de ses professeurs favoris les secrets de ses petits camarades. Ce qui a pour corollaire que l'enfant délateur est aussi un enfant « bon », dont on ne remet pas en cause les propos. Si en plus cet enfant est le rejeton de collègues bien vus par la direction, tout est possible. J'en ai été le témoin à de très nombreuses reprises lorsque j'étais moi-même enseignante, avec de mon côté des sollicitations répétées pour « établir un dialogue avec les élèves », « en faire parler un ou deux pour obtenir des renseignements sur les copains… », etc. Ma répugnance   pour ce genre de pratique était considérée avec mépris : « Je ne savais pas me débrouiller… ». De même, à l'inverse, l'enfant discret est très vite soupçonné d'être une forte tête.

J'ai certainement été manipulée dès l'adolescence sans m'en rendre compte. J'attribuais à mes propres incapacités mes échecs : échec à trouver des petits boulots qui m'auraient permis de me libérer de ma dépendance vis-à-vis de mon père, échec à nouer des amitiés durables, échec à me lancer après le bac dans une filière artistique… Par exemple, je n'ai jamais pu obtenir à temps l'information nécessaire pour préparer les grandes écoles d'arts appliqués que je convoitais ; en revanche, le dossier d'inscription en classes prépas, accepté par prudence, s'est présenté presque naturellement. C'est ainsi que je me suis retrouvée seule, et malheureuse, à dix-huit ans, en classes préparatoires lettres, au lycée Michel Montaigne de Bordeaux, et à nouveau en prise directe avec le milieu de l'Education nationale, dans sa filière la plus normative, le lycée. C'est là que s'est jouée la deuxième phase de la diffamation.

Ce qui s'est passé au lycée Michel Montaigne, je m'en suis fait une idée très précise, mais je n'ai aucun témoignage, aucun récit, qui m'en ait été fait, malgré plusieurs entretiens au cours de mon enquête. Et je me permettrai donc de rester discrète sur le sujet, qui est lié à ma vie amoureuse. Mais « en gros », j'ai été dénoncée par quelques-uns de mes camarades à la classe et au personnel enseignant. Ce qui s'est dit ? Je n'en sais rien. Je me souviens d'une grande crise au début de la seconde année, d'un professeur d'histoire insultant des camarades en cours et les traitant de « fascistes ». Tout le monde a été averti, y compris ma famille. Pas moi. Mes questions sont restées sans réponse. J'avais décroché dès le début d'année. Je suivais les cours avec sérieux, mais je ne cherchais plus l'excellence. Je fréquentais peu mes camarades. J'allais tous les soirs aux Beaux-arts suivre des cours de dessin. L'année suivante, j'ai pourtant été encouragée à fréquenter à nouveau les camarades délateurs : « Ce sont tes seuls amis, quand tu vas mal, tu t'isoles, etc. ». Bien évidemment, devant une telle aubaine, ces derniers ont continué à se répandre en propos fallacieux sur mon compte, me mettant sur le dos leur propre névrose. J'ai reçu les aveux rieurs de l'une d'entre eux.

C'est aussi au lycée Michel Montaigne que j'ai été incitée à consulter un psychiatre, ce à quoi j'ai fini par me résoudre car je suis une fille courageuse (!). Si j'avais à ce point des problèmes relationnels avec mon entourage, autant les affronter et les régler. La première chose que l'on m'a expliquée, c'est que l'interprétation de mes problèmes à travers le prisme de la violence faite aux femmes, que je revendiquais, était fausse.   A partir de là, j'ai été fichue. Les psychiatres que j'ai consultés, à Bordeaux, puis à Paris, m'ont délibérément détournée de la vérité, m'ont manipulée et se sont servi pour cela des informations que je leur fournissais par le biais de la pseudo-analyse qu'ils me proposaient. Lorsque j'ai commencé à remarquer qu'il y avait un peu trop de « hasards » extraordinaires dans ma vie, ils m'ont expliqué que j'étais paranoïaque.

 

4/ Pensez-vous que votre patron soit informé de vos conversations domestiques ?

Les manipulations, à partir du moment où j'ai quitté le lycée Michel Montaigne, et plus encore à partir du moment où j'ai commencé à consulter un psychiatre, sont devenues monstrueuses et ont détruit ma vie. Je n'en donnerai qu'un seul exemple. Mais d'une façon générale, à partir de l'âge de vingt ans, et à quelques exceptions près, il n'y a plus eu un seul camarade ou une seule amie qui se soient imposés durablement dans ma vie, un seul amant, qui ne m'aient proposé une amitié ou un amour mercenaires. Les « amis » venaient à   moi sur commande, aidés par des informations intimes transmises par des psychiatres ou ma famille, peut-être par des écoutes à mon domicile, et une fois ma confiance gagnée, se targuaient de nos relations pour me calomnier. Le tour joué, ils me « plaquaient ». Ils se sont tous fait rétribuer, en général sous forme d'avantages professionnels : avancement, année sabbatique, poste de fonctionnaire pour soi-même ou le conjoint, etc. Je n'ai certainement pas tout inventorié.

Exemple de manipulation  :

Dès le début de ma dernière année universitaire à Bordeaux (1988-1989), je décide de rompre l'engrenage du malheur et je prends deux décisions : partir à Paris l'année suivante et commencer une psychothérapie, ne serait-ce que pour obtenir quelques conseils. Je me sens désespérément seule et démunie.

Pendant l'année universitaire, alors que ma psychothérapie est commencée, je fais la rencontre d'une jeune femme aux cours du soir des Beaux-Arts que je fréquente toujours avec assiduité. Apparue en cours d'année, elle me dit être inscrite aussi à la faculté d'Histoire de l'art, en année de licence, comme moi. Je ne l'y avais jamais vue, et par la suite je ne l'ai rencontrée là-bas que de façon rarissime. Mais « comme moi », elle a étudié les lettres et voudrait reprendre un double cursus, à mon exemple. Elle se montre aussitôt très insistante dans le souhait de se lier d'amitié avec moi, alors qu'elle n'est jamais disponible pour des sorties en dehors des cours. De tempérament elle se révèle plaintive et revendicative : d'origine étrangère, mère d'un bébé de 18 mois, diplômée d'une grande école d'art appliqué parisienne, elle vit avec un entrepreneur d'une quarantaine d'années qui est en train de monter une entreprise de filtres industriels destinés à l'industrie viticole. Elle se plaint de solitude, entre autre.

J'ai ressenti ses démonstrations d'amitié comme un fardeau. Mais elle savait être tour à tour envahissante, culpabilisatrice ou providentielle. Elle a réussi par exemple à me sous-louer un deux-pièces qu'elle avait à Paris (une aubaine) pour un prix modique (par rapport au taux des locations parisiennes, mais pas par rapport à ma bourse !). Là-encore elle avait beaucoup insisté. J'avais d'abord refusé, mais n'obtenant pas de réponse au dossier que j'avais soumis auprès du CROUS pour une chambre universitaire, courant septembre, je m'y suis installée. Le temporaire est devenu ensuite définitif.

Ma première année parisienne a été cauchemardesque. J'ai essuyé en quelques mois une série d'avanies plus catastrophiques les unes que les autres et qui ont gâché mon année universitaire. Certaines se sont révélées depuis provoquées par des tentatives de manipulations, qui pour certaines ont réussi, pour d'autres ont échoué, mais qui toutes m'ont laissée pantelante. En juin, malgré tout, la vie continuant, j'ai préparé l'année universitaire suivante et cherché à reprendre des études d'art. En me rendant à Paris 7 pour me renseigner sur les formations qu'on y proposait, j'ai obtenu spontanément un rendez-vous avec un professeur que je ne connaissais pas, et qui deviendra mon directeur de thèse. Il n'y avait que deux facultés parisiennes proposant des cursus Lettres et arts. Je cherchais seulement de l'information, denrée rare pour le prolétaire qui s'aventure à l'université sans relations.

La veille du rendez-vous, très exactement, l'amie qui me sous-louait son appartement a débarqué de Bordeaux à l'improviste, ce qu'elle ne faisait jamais. Elle a prétendu je ne sais quelle visite à faire. Le lendemain, le professeur m'a reçue et m'a proposé de m'inscrire dans son DEA Texte et Image, sans même d'ailleurs me poser la moindre question sur moi, au point que j'en avais été gênée. J'avais 24 heures pour prendre ma décision et signer les papiers. Bien sûr, lorsque je suis rentrée à la maison, j'ai eu la faiblesse d'en parler avec cette « bonne camarade ». Mon avis était très négatif. La formation paraissait intéressante (Echange Erasmus, trois mois dans un pays anglophone, de petites aides pécuniaires) mais justement, pour être à la hauteur du projet, il fallait être en forme. J'étais épuisée : sans lui faire aucune confidence (je ne lui en faisais pas), j'ai mis en avant le fait que je me sentais dépressive et j'ai annoncé mon intention de ne pas accepter. Elle est alors entrée dans une colère exubérante, m'expliquant que je n'avais pas le droit de refuser une chance pareille, qu'elle-même n'avait jamais eu la possibilité de se voir offrir une telle opportunité, etc., etc. Le lendemain, sans enthousiasme, je suis allée signer les papiers. Après tout j'avais l'été pour me remettre. Mon amie n'est pas restée à Paris, elle est aussitôt rentrée à Bordeaux.

Anodin ? Non. Paris 7 était la faculté liée à la Cause freudienne, l'école de psychanalyse dont dépendaient les trois psychiatres que j'ai consultés à Bordeaux et à Paris. La dernière prétendait ne pas connaître les deux précédents. J'avais interrompu les séances avec le second parce qu'il m'avait beaucoup déplu.

J'y ai retrouvé aussi un petit ami dont j'avais fait la connaissance ailleurs l'année précédente et qui avait « oublié » de me préciser qu'il était aussi étudiant à Paris 7. A l'époque, il m'a d'ailleurs caché son année d'études à Paris 7 du temps de notre liaison. Sa version, avec force détails, était une inscription toute récente à la faculté que j'avais découverte à la rentrée universitaire, lorsque j'étais arrivée en DEA. Il m'a révélé le pot aux roses au cours de l'enquête, en 2009. Nos relations déjà houleuses ne se sont pas améliorées.

Ma copine bordelaise ? Elle va bien. Elle vient de terminer une thèse de doctorat sur un sujet similaire « au mien », qu'elle a mis quinze ans à rédiger. Elle donne actuellement des cours d'art-thérapie dans un hôpital psychiatrique bordelais. Sa meilleure amie, qui vit toujours à Paris, a suivi la même voie. L'art-thérapie en milieu hospitalier, pour les artistes, est un vrai créneau.

 

 

5/ Le lynchage collectif est-il l'avenir de la justice ?

Beaucoup de femmes parmi mes adversaires ? C'est une illusion d'optique. Derrière les quelques égéries névrosées qui ont animé les salons de l'Intelligentsia française, je n'ai trouvé que des hommes, tirant les ficelles avec adresse et jubilation. Et à partir du moment où l'on repère le phallocrate cherchant à tirer parti de la situation providentielle, on comprend aussi comment   s'ordonnent les lieux communs et insultes stéréotypées de la misogynie.

Ni ma camarade de collège, ni même sa chère tante, n'étaient assez puissantes pour monter une cabale planétaire contre moi. Avoir une telle pensée serait absurde. En revanche, elles ont su trouver un auditoire intéressé et des protecteurs puissants, qui loin d'être dupes de leurs racontars, les ont exploités en toute connaissance de cause. Les documents qui trahissent la tante sans scrupule, par exemple, m'ont été indiqués par mes adversaires eux-mêmes. J'avais repéré la dame mais négligé d'explorer la piste : quel dommage ! Alors qu'on pouvait ainsi réduire l'aventure à une formidable histoire de femmes envieuses qui ferait les délices des misogynes de tout poil.

Je tiens à rappeler que l'envie n'est pas une tare féminine. C'est un trouble de la personnalité lié à la relation primordiale à la mère, et plus précisément encore à l'allaitement initial, dont la mère n'est pas toujours directement responsable : de nombreux facteurs peuvent intervenir. Tout le monde   connaît les affres de l'envie. Les tempéraments les plus équilibrés dépassent l'épreuve et instaurent un bon rapport avec leur entourage. Seuls les tempéraments les plus fragiles peuvent être marqués par l'étape. Quoi qu'il arrive, si un trouble apparaît, il se révèle avant la mise en place de la sexualité, et il touche autant les garçons que les filles, sans aucune distinction (Melanie Klein, Envie et Gratitude , 1957).

En revanche, la société traditionnelle, dominée par le pouvoir masculin, favorise les hommes, et condamne les femmes, qui sont exploitées aussi à travers leurs fragilités et qui sont constamment mises en concurrence. A l'origine, ma camarade était une gamine, qui aurait mérité qu'on lui remonte les bretelles et qu'on la console. Elle s'est laissé enfermer dans ses calomnies et c'est aujourd'hui une femme abîmée, à la personnalité sclérosée, alors qu'elle était intelligente et joyeuse, et aurait pu faire autre chose de sa vie.

Il est plus difficile d'avoir de la compassion pour la tante, adulte, intelligente, responsable, mariée, mère de famille, calculatrice, arriviste… qui dit d'elle-même : « Je parle comme on viole ». Mais on entend aussi dans ses demi-confessions, la femme écrasée par le pouvoir machiste et qui essaie de se réaliser coûte que coûte, la thésarde humiliée qui conclut sa thèse par cette phrase révélant une vision dégradée d'elle-même : « Mais plus le temps va,   moins je vois d'inconvénients à passer pour une demeurée. Demeurée en enfance ». Derrière le discours contestable, on perçoit la peur de la femme menacée, que l'écrivain pour la jeunesse formalise très bien en ces termes : « N'est-ce pas nous-mêmes que nous traquons en censurant les autres, n'est-ce pas l'aveu que nous avons peur de ressembler à ce que nous condamnons avec tant d'assurance ? ».

Qui sont les « hommes » ? Des intellectuels, en majorité des hommes, mais aussi quelques femmes ayant accepté de se mettre au service de la domination masculine, issus des grandes écoles de la République française, en particulier de l'Ecole Normale Supérieure, et pour certains de l'Ecole Polytechnique, ou d'autres écoles.

Ils sont alliés selon un réseau de clientélisme qui dépasse les clivages politiques, et trouve son ancrage géographique dans l'Ouest de la France, mais d'une façon générale, ce sont des hommes ayant un bagage de droite. Leur culture est dominée par une conception élitiste et réactionnaire de la société, un rapport misogyne aux femmes et une éducation catholique prégnante, qu'elle soit revendiquée ou non. Leur façon d'envisager la politique est séduite par le modèle du Prince de Machiavel. Pour eux, l'accès au pouvoir justifie les moyens. Comme pour les tyrans, ils sont prêts à faire appel aux jeux du cirque pour distraire le peuple. Ils m'ont utilisée comme un hochet dans l'Education nationale, ils essaient de faire de moi un bouc émissaire à l'usage des intellectuels et des artistes, et de toute une société industrielle dominée par les spectacles. Le cynisme est leur meilleure définition.

J'ai repéré un modèle conceptuel de leur démarche dans l'ouvrage de René Girard, publié en 1985, La Route antique des hommes pervers. Je suis convaincue que ces hommes connaissent le texte et qu'il fait partie de leurs référents. René Girard, homme du sud-ouest de la France, mais qui a mené toute sa carrière dans des universités américaines, fait le commentaire du Livre de Job, tiré de la Bible, en analysant la particularité essentielle à Job en tant que bouc émissaire : il en analyse la fonction sociale de cohésion du groupe autour d'une haine collective qui fait l'unanimité (voir fiche). C'est un texte politique autant qu'anthropologique. Il ne néglige qu'un seul détail : c'est que Job, dans la Bible, lorsqu'on va lire le texte soi-même (ce que j'ai fini par faire car je n'ai pas une grande connaissance du Livre ) est réhabilité.

J'ai porté plainte contre l'Education nationale, et nominativement contre trois ministres, dont deux ont pesé sur ma « carrière » de Professeur de Lettres modernes : Gilles de Robien était ministre de l'Education nationale alors que j'étais en poste sur l'académie d'Amiens, ville dont il est le maire de longue date : pas de chance ; celui qui lui a succédé était Xavier Darcos, un monsieur que je connais bien puisqu'il était mon professeur de littérature en Hypokhâgne, au lycée Michel Montaigne de Bordeaux, entre 1984 et 1985 : vraiment pas de chance. Je sais très bien que Monsieur Xavier Darcos n'est ni le premier ni le seul à m'avoir fait du tort : mais c'est sous son ministère que j'ai vécu les pires années de harcèlement dans l'Education nationale, alors que j'étais en poste à Roubaix. Et je suis bien certaine qu'il n'a pas oublié la promotion 1984 du Lycée Montaigne. J'estime qu'en tant que ministre, il est entièrement responsable. S'il trouve injuste que son nom soit le seul à apparaître, c'est qu'il est victime de son propre tempérament, et de son goût immodéré pour la parade, l'esbroufe, et les cravates un peu trop voyantes. Il a voulu être ministre et passer à la télé : qu'il en assume les conséquences. Enfin je ne rêve que d'une chose, c'est qu'il y ait bien un procès où les responsabilités soient reconnues et partagées, publiquement et nominativement, dans le respect de la Justice.

L'acharnement de mes adversaires, comme le recours à tous les registres de la misogynie pour organiser un véritable « lynchage collectif », ressemblent à une fuite en avant, d'autant plus stupide que si j'avais pu me refaire une vie discrète, et loin de tout au Canada ou ailleurs, je n'aurais jamais (re)porté plainte, ni rendu public mon combat. Après mes premières plaintes en justice et la vague de violence qu'elles avaient soulevée à Amiens, j'avais eu le sentiment d'avoir été « cassée », d'avoir perdu la partie. Je ne savais plus comment me battre. Je ne voulais qu'une seule chose : qu'on me laisse tranquille.

Lorsque le harcèlement a repris à Lille, j'ai eu le sentiment que c'était ma peau qu'on voulait. Je ne laisserai personne m'assassiner en silence. Quitte à y laisser ma vie, je préfère monter au front que me laisser mourir à petit feu sous ma couette, pour rendre service à des hommes dont les visées politiques me révoltent.

Ce que je veux ?

Qu'on me rende ma liberté.

Qu'on me rende justice.

Que je puisse vivre et travailler de façon décente et libre dans le pays de mon choix comme n'importe quel citoyen et n'importe quelle citoyenne.

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